LE PIN
Comme il est beau ce vieux pin blanc,
sur les collines de ton enfance,
que tu es revenu visiter aujourd'hui...
Son murmure, c'est tout le souvenir de tes morts,
et tu songes à quand ce sera ton tour.
Son murmure, c'est pour toi
comme si tu avais écrit ton dernier livre
et n'avais maintenant qu'à te taire et pleurer,
pour que la parole fleurisse...
Ce qu'a été ta vie? Tu as quitté connu pour inconnu.
Et ton destin? Il ne t'a souri qu'une fois et tu n'étais pas là...
Même si Dieu n’existait pas…
Même si Dieu n’existait pas, si l’âme n’existait pas
et si l’âme existait et était mortelle,
et s’il n’y avait pas de résurrection,
s’il n’y avait plus rien après, vraiment rien,
alors la part que toi et moi aurons prise à une telle comédie
n’aura été que de pitié, pitié pour cette vie
qui n’est qu’un souffle, et soif, et faim,
accouplement, maladie et douleur…
Un jour que je marchais au milieu des bruyères en fleur,
j’entendis la question que posait un enfant : Pourquoi ?
et je n’ai pas su lui répondre. Et je ne pourrais, après tant d’années
pas davantage lui répondre même aujourd’hui
que la lune est en son milieu,
car à l’enfant jamais ne suffit la réponse, non plus qu’à l’homme la question.
Quand mon enfance resurgit et me prend doucement la main
je me mets à chanter.
Quand je pense à la couronne d’épines du Christ,
l’épouvante me fait me taire.
Quand mon regard se pose entre les ronces et que j’y vois un nid d’oiseau
je reste là, pour écouter.
Mais dès que je reconnais l’homme,
je me mets à sangloter…
***
LE MUR QUI SE BÂTIT LUI-MÊME
Éclairs dissipés, nuées excessives,
puis, en bas, la terre abasourdie
par le vent. Mais à l’endroit
le plus réceptif
se dresse le mur qui se bâtit
lui-même, et cela de telle façon
qu’il ne pouvait autrement.
Il n’esquive pas les soupçons
qu’il s’écroulera le temps venu,
vers l’omission inattendue,
de même d’ailleurs
qu’il ne s’oppose point à rester là
jusqu’à la lassitude... Mais
que de portes secrètes
pour les êtres au destin en retraite !
« Comment vivre, comment être simple et ne pas manquer de parole ?
Toujours je n’ai fait que chercher le mot
Qui n’eût été dit qu’une seule fois,
Sinon le mot qui n’eût jamais été dit jusqu’alors.
J’aurais dû chercher des mots de tous les jours.
Même au vin non consacré
On ne peut plus rien ajouter. »
« La vie comme jeu cruel ?
Ou serait possible
Que ce soit l’ironie,
Plus forte que le destin »
À nouveau, nuit…
À nouveau, nuit, confabulée avec la nature
tu me poses cette question ?
Eh bien, oui, j’ai aimé la vie
c’est pourquoi j’ai si souvent chanté la mort
La vie sans elle est impalpable,
la vie ne peut être imaginée qu’avec elle
et c’est pour cela qu’elle est absurde…
Rencontre dans un ascenseur (1965)
Nous sommes entrés dans la cabine. Nous étions là tous les deux seuls.
Nous nous sommes regardés et nous n’avons plus rien fait d’autre.
Deux vies, un instant, la plénitude, la félicité…
Au cinquième étage elle est descendue et moi, qui allais plus loin,
je compris que je ne devais plus jamais la revoir,
que c’était une rencontre une fois pour toutes, et rien de plus,
que si je l’avais suivie, j’eusse été après elle comme après un mort,
et que si elle était revenue vers moi,
ce n’aurait pu être que de l’autre monde.
En marche
Si l’on ne se sent pas perdu,
c’est qu’on l’est, perdu, à tout ce qui se passe en autrui
et se passera en soi-même.
Et perdu à cela, on écrit lettre et enveloppe,
on scelle et on souligne : À n’ouvrir qu’après ma mort !
Mais être perdu, et n’en plus pouvoir,
avoir déjà la lune en livre et la nuit seulement dans le lire,
méconnaître sa fin et ses contours,
ne pas être seul, mais être perdu,
c’est comme si sa propre douleur et celle d’un autre
enfantaient un troisième cœur.
traduction de travail Xavier Galmiche
La Poésie (1965)
Tu ne sais d’où vient ce chemin
qui ne te mène nulle part.
Mais que t’importe, il était plein de charmes,
de femmes, de miracles, de désirs de liberté,
tu as vu, comme un cheval qui aurait été tué sous un ange,
l’ange s’en fut à pied, sur le chemin de l’oubli de soi,
ce n’est qu’après que tu as connu la douleur de l’homme,
et celle aussi de Dieu, qui recherche aussi le bonheur,
Dieu, cet amant malheureux…
POUR TOUT ALLER
Un mur... un mur par amour du verger,
par haine de l’homme.
Du côté intérieur il y a plus d’arbres
que de fruits. Il y a à l’extérieur
plus de péchés que de cuisses.
Ce mur, bien qu’épais, bien que
haut et aigu, tente.
Pour tout aller, des vipères
guettent dans ses fentes. Un bon mur !
MAIS OUI !
Non, plus un seul mot qui pourrait transparler le silence !
Mais il peut être que dans cette vallée de brumes
vous soyez en train de déguster par modestie
une caille, plus petite tout de même
qu’une perdrix... Votre seule salive toutefois
trahit que vous bouffez de l’homme.