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Le grand Meaulnes

En traversant le village d'Epineuil le Fleuriel dans le département du Cher, on peut encore de nos jours voir la "maison-école" où, à la fin du du 19ème siècle, Alain-Fournier fit ses 1ères études sous la houlette de ses parents instituteurs.

L'auteur s'est inspiré de ce lieu pour évoquer celui qui sert de cadre à ce roman, et pour y glisser l'apparition fortuite et passagère d'Augustin Meaulnes, un jeune homme de 17 ans, appelé "Le grand Meaulnes" par les élèves du Cours Supérieur qu'il fréquenta quelques temps.

Augustin Meaulnes est une sorte de chevalier aventureux et romantique qui symbolise à lui seul l'adolescence, cette période de la vie qui porte en elle l'envie "d'ailleurs" et de liberté sans restriction, l'amour fantasmé et l'amitié que l'on voudrait indestructible. C'est un être "de passage" que l'on admire, que l'on jalouse, ou que l'on aime " à ses risques et périls", car il ne fait que passer.

D'autres personnages, inspirés eux aussi de rencontres majeures faites par l'auteur - la jeune Yvonne de Galais et son frère Frantz, notamment - interviennent largement dans le récit, complétant ainsi ce tableau intemporel de la lente rupture d'avec les années d'enfance;

Le lecteur se prend à aimer cette écriture au charme désuet qui dépeint une France rurale aujourd'hui disparue, et dont on peut toutefois douter de l'attrait qu'elle exerce encore sur les adolescents du 21ème siècle.
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Au coeur des ténèbres

Ce livre m'a ensorcelée…à l'image de la couverture que je trouve particulièrement bien trouvée, « La charmeuse de serpents » du Douanier Rousseau…Même exotisme, même fascination, même atmosphère. Il m'a fallu le lire à voix haute tant je le trouvais tout d'abord complexe et alambiqué. Peu à peu le charme a opéré, j'ai été mordue. Les phrases, murmurées, d'une poésie exotique magnifique, ont diffusé leur venin pour laisser une empreinte singulière, l'empreinte funeste du coeur des ténèbres dans lequel ce livre nous invite, jusqu'à nous étouffer.



Joseph Conrad nous convie à suivre ses pas, à prendre le chemin que lui-même avait déjà emprunté, direction le coeur des ténèbres du Congo belge, vaste jungle primaire habitée par des peuplades primitives, où se trouve le précieux ivoire pour lequel les pèlerins blancs sont prêts à tout, y compris à faire éclore leurs propre ténèbres.



« le mot “ivoire” passait dans l'air, tour à tour murmuré ou soupiré. On eût cru qu'ils lui adressaient des prières »



Mais avant de partir dans la folie congolaise, il faut passer par la Belgique pour se faire engager. Conrad compare Bruxelles à un sépulcre blanchi, la mort étant évoquée à travers ces deux femmes tricotant devant le bureau du Directeur de la Compagnie des Indes, tressant « leur laine noire comme pour en faire un chaud linceul », funeste présage avant même le départ que raconte un certain Marlow, sorte de double de l'auteur. La visite au docteur, obligatoire pour tous les engagés, lui fait craindre le pire, le médecin lui mesurant la tête, l'interrogeant sur l'existence ou non de problèmes psychiatriques dans la famille...Peu reviennent du Congo belge, du moins peu en reviennent sain d'esprit…La Nature sauvage, puissante, impérieuse, diffuse ses ténèbres aux hommes qui basculent alors dans la sauvagerie la plus primaire.



Ce passage de l'un à l'autre, cette inoculation hallucinante, si je peux dire, des ténèbres de la Nature à celles des hommes, ce processus d'ensauvagement des hommes blancs, est narré de façon sublime, très imagée. Conrad, en auteur de la mer, emploie souvent des images maritimes, celles des vagues impétueuses. le but de l'auteur est de montrer comme les forces morales des hommes blancs (Conrad les appelle les pèlerins tant ils se pensent investis d'une grande mission civilisatrice), soi-disant civilisés, alors qu'ils ne font que piller l'ivoire, s'effondrent progressivement comme ensevelies, submergées par cette Nature foisonnante qui semble deviner leur sombre dessein.



« Des arbres, des arbres, des millions d'arbres, massifs, immenses, jaillissant très haut ; et à leur pied, serrant la rive à contre-courant, se trainait le petit vapeur encrassé, comme un bousier paresseux rampant sur sol d'un noble portique ».



Ce livre raconte l'aventure du capitaine Marlow et sa rencontre avec Kurtz, héros personnifiant précisément les sombres dérives de l'homme bousculant dans la sauvagerie. Sans doute que via Marlow, Conrad se libère des images noires qui l'ont habité lors de son propre séjour dans la folie congolaise.

C'est un récit pittoresque, exotique, empreint d'un certain racisme, celui qui avait cours à cette époque. L'auteur dénonce certes la cupidité des hommes blancs, leur petitesse, l'impérialisme de Léopold II, tout en regardant les hommes noirs avec une certaine condescendance. En ce sens, on ne peut pas vraiment dire que ce livre soit un réquisitoire contre le colonialisme. C'est bien plutôt un récit sincère, sombre et sans espoir, inscrit dans son époque, qui veut montrer que, dans le cadre du colonialisme, toute civilisation tombe dans la sauvagerie. Conrad reste bien du côté du colon, dans un regard eurocentré avec les biais racistes de son époque, mais un regard sombre et amer, me semble-t-il.



« Ils braillaient, sautaient, pirouettaient, faisaient d'horribles grimaces, mais ce qui faisait frissonner, c'était bien la pensée de leur humanité – pareille à la nôtre – la pensée de notre parenté lointaine avec ce tumulte sauvage et passionné. Hideur. Oui, c'était assez hideux ».



Ce regard des colons, entachés de clichés et de racisme, entraine en effet inévitablement une rencontre ratée avec cette Afrique vue à travers le filtre de la force primaire, de l'anthropophagie, de la bestialité et d'où émane « L'odeur de boue, de la boue des premiers âges ». Cette façon d'être en Afrique ne peut que venir ronger leurs rapports avec ces tribus, dresser un mur et les enliser jusqu'au pourrissement. Comme rejetés, crachés, vomis. le coeur des ténèbres victorieuses au battement régulier et sourd comme ce bruit régulier de tam-tam entendu souvent derrière l'épais rideau d'arbres.



J'ai aimé la façon dont Conrad entoure de mystère cet homme dont tout le monde parle, Kurtz, et la fascination qu'il engendre. Kurtz semble avoir disparu, on ne sait pas vraiment s'il est mort et la mission de Marlow est de le ramener. On le dit homme cultivé, artiste, peintre, homme remarquable. Marlow découvrira un homme devenu sauvage, qui a su se faire accepter par les tribus mais qui a entouré sa maison de têtes décapitées et empalées sur des pieux, têtes de rebelles, ce qui en dit long en réalité, sur son emprise. Ses seuls mots, bredouillés au seuil de la mort, seront « L'horreur ! L'horreur ! ». Son portrait, tout en subtilité et nuances, est complexe et mériterait, de ma part, une relecture pour tenter d'en comprendre tous les messages et déterminer si Conrad est bien cet écrivain impérial ou au contraire un écrivain anti-colonial, il me semble que ce personnage de Kurtz permet d'avoir quelques clés pour mieux comprendre. Et au-delà de la cette compréhension, la complexité du personnage décrit en fait un personnage de littérature fascinant qui mérite d'être revisité. Ce d'autant plus que, sans doute, ce personnage complexe traduit les propres ténèbres intérieures et contradictoires de l'auteur.



J'ai adoré l'écriture de Joseph Conrad pour décrire ces ténèbres, cette nature sauvage. J'y étais. Je voyais cette foule d'adorateurs soumis autour de Kurtz, l'obscurité de la forêt, le scintillement de la longueur du fleuve entre les sombres courbes, j'entendais le battement du tam-tam, régulier et sourd, comme un battement de coeur…J'ai senti combien Kurtz, rassasié d'émotions primitives, était devenu sombre, l'ombre de lui-même, « une ombre insatiable d'apparences splendides, de réalités effroyables, une ombre plus ténébreuse que l'ombre de la nuit, et drapée noblement dans les plis d'une éloquence fastueuse ».





C'est d'une beauté absolue, d'un exotisme hypnotisant, je crois n'avoir jamais rien lu ainsi sur l'Afrique, et compense largement la complexité du récit par moment et le véritable dessein de l'auteur que plusieurs relectures me permettront peut-être de mieux comprendre. Me restent, en attendant ce second rendez-vous, une sensation étouffante, intense, mystérieuse et un style classique au charme suranné.





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La gloire de mon père

Premier tome des mémoires romancées de Marcel Pagnol, la Gloire de mon père est une autobiographie en apparence simple mais efficace, servie par une très belle plume et une profondeur que je ne soupçonnais pas. Pagnol livre ici, dans les années 50, un témoignage d'une époque depuis longtemps révolue mais que tout un chacun fantasme encore aujourd'hui. Soixante-dix ans plus tard, sa prose demeure d'une grande beauté et d'une vive actualité.



J'ai toujours trouvé surprenant qu'on fasse lire ce récit à de jeunes enfants car il me paraît évident qu'il est destiné à un public adulte. Non pas que les thèmes abordés soient à réserver à un public averti, mais parce qu'il y a une certaine critique de la nostalgie, un certain regard sur le passé (la jeunesse de Pagnol sur le plan individuel et la France du début du XXème siècle sur le plan collectif), qu'a l'auteur, qui ne peuvent être compris que par des individus qui ont quitté l'enfance et ont déjà une certaine expérience de la vie.



Au-delà d'un sous-texte critique bien plus piquant que ce que sa réputation ne lui attribue, la Gloire de mon père est un récit sincère, lumineux et émouvant. Ce qui est surprenant est l'emprunte que ce livre a laissé sur moi, plusieurs semaines après l'avoir terminé. Je ne me sentais pas si toucher que cela en le lisant mais c'est au fil des jours et en y repensant que l'émotion m'est venue. Comme quoi...!

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