Le mariage décida de la vocation de ma mère. La maison où elle entrait était vouée au culte de la peinture moderne. Des peintres en renom y fréquentaient. Mon père avait vécu les années de son adolescence dans la société de Roqueplan, de Couture, de Marvy et dans le rayonnement des gloires romantiques; il avait passé son baccalauréat, entre deux aquarelles, son maître et ami Laroche l'initiant à la lithographie en même temps qu'au discours latin. Aussi ma mère trouva-t-elle une boîte à couleurs dans sa corbeille de noce. Et il fallut s'en servir. Elle aimait à répéter que mon père l'avait mise à la tâche. Il lui choisit pour maître Auguste Bonheur, dont il appréciait le talent d'animalier. Ma mère alla travailler dans l'atelier de la rue de l'Ouest; les leçons sérieuses d'un artiste consciencieux s'agrémentaient d'une causerie familière sur l'art, qui de jour en jour accaparait davantage sa vie. Plusieurs années de cet apprentissage développèrent les dons naturels de la toute jeune femme qu'elle était alors.
En ce temps-là, la belle saison réunissait chaque année la famille à la campagne ou à la mer, et autour de « Camille » se groupait toute une phalange passionnée de peinture : mari, soeur, tante, sans compter les amis; les uns faisant de l'aquarelle, les autres de la peinture à l'huile, tous pleins d'une ardeur de néophytes. Auguste Bonheur demeurait le maître écouté. Puis un goût particulier attirait ma mère vers les oeuvres de Troyon qu'elle étudiait avec ferveur et dont elle faisait même plusieurs copies. L'exécution savoureuse et l'atmosphère délicate des tableaux de ce maître n'a jamais cessé de la charmer. Cette prédilection ne fut pas modifiée par les influences impressionnistes que subit, après quelques hésitations, la période de sa maturité.
Elle exposa pour la première fois au Salon de 1865, Puis d'une façon presque ininterrompue pendant les quinze années suivantes. C^étaient toujours des tableaux d'animaux ou des paysages. Les années qui précédèrent la triste guerre de 1870 forment dans sa carrière comme une première étape. C'était l'âge d'or de la jeunesse enthousiaste, le temps des discussions passionnées.