Citations sur Je sais pas (149)
Sans se départir de son sourire légendaire, Mireille Cerise, directrice de l’école maternelle des Pinsons, poursuit sa course sans ralentir. Le joyeux désordre qui règne dans le patio ne paraît pas l’affecter ; il semble que tout soit sous contrôle. Ce qui, en vérité, est loin d’être le cas.
La jeune femme domine un mouvement d’humeur qui n’échappe pas à son père. Sa paupière droite se met à trembler, forçant son œil à se fermer de manière compulsive. Ses traits se tordent tandis que son souffle se fait court.
Elle désirait juste profiter de ce bonus que la vie lui offrait, sans chercher à savoir où cela la mènerait, escomptant que cette histoire s’achèverait comme elle avait commencé, un beau jour, sans crier gare. Sans faire de bruit. Sans faire de mal. Étienne n’exigeait rien d’elle et, de son côté, elle ne lui promettait rien. C’était seulement l’affaire de quelques jours.
Cinq semaines plus tard, la situation est devenue passablement plus compliquée.
Cette liaison dure depuis cinq semaines, au-delà de toute raison.
Elle recule d’un pas, consciente du danger, sans vraiment savoir qui des deux est le plus menaçant, le regard de cet homme qui la convoite ou le feu intérieur qui la consume…
Elle sait que c’est lui. Elle sait qu’en lieu et place d’un SMS coquin ou d’un message équivoque, il est là, derrière la porte, la débusquant dans son milieu naturel, là où le charme des rendez-vous secrets n’a pas cours, là où l’envoûtement des étreintes interdites ne la rend plus ni belle ni précieuse.
Là où elle n’est plus qu’une femme ordinaire.
À nouveau les secondes s’égrènent dans l’attente d’un mot doux… Camille aime ces moments volés à l’ordinaire, l’émoi des pensées illicites, la rébellion d’une conscience qui, depuis quelques semaines, l’abandonne à ses démons…
— Mamaaaaan ! Je veux sortiiiiiir !
À l’étage, la routine reprend ses droits, impérieuse et tyrannique. Emma, cinq ans, barbote dans son bain depuis assez longtemps.
— J’arrive, ma chérie !
Camille soupire mais ne lâche pas son téléphone. Le fumet qui s’échappe des casseroles explose soudain à ses narines, ça frise l’odeur de brûlé. Elle sauve le repas in extremis, l’œil vissé au smartphone qu’elle a dû se résoudre à poser sur le plan de travail, déjà accablée par l’absence de réaction…
— Mamaaaaan !
— J’arrive !
Le temps lui-même disparaît des radars, ça se défile de partout, juste le souffle en apnée dans l’attente d’une réponse…
Quelques notes synthétiques résonnent, comme une permission de respirer à nouveau.
« Il rentre quand ? »
Camille se mord la lèvre inférieure tandis qu’elle pianote sur le clavier tactile.
« Dans une heure, pourquoi ? »
À la lecture du message, la jeune femme ne peut s’empêcher d’esquisser un sourire béat, et soudain plus rien n’existe autour d’elle, le repas qui mijote, la table à dresser, Emma dans son bain, le chat qui a faim.
Aussitôt, la réponse fuse de ses doigts.
« Je suis avec Emma. Sinon… Oui ;-) »
« Tu es seule, joli Papillon ? »
Recevoir un message de son amant en début de soirée, au moment où chaque seconde doit être rentabilisée, cela n’a rien de raisonnable. Pourtant, lorsque son téléphone émet la mélopée caractéristique de la réception d’un SMS, le cœur de Camille prend aussitôt le relais de ses intentions, le contrôle de son cerveau, ne laissant à la raison aucune voix au chapitre.