Ce qu’on désire follement s’apparente parfois à ce que l’on redoute le plus.
Parce que, parfois, il vaut mieux ne pas savoir.
Camille ne quittera jamais son mari, il en a la certitude. Il aime les instants volés qu'il partage avec elle, sachant que cette clandestinité donne à leur histoire tout son piment. Il a passé l'âge des serments de pacotille et n'est pas du tout certain de vouloir plus, tout recommencer depuis le début, une vie de couple, plonger ce fut défendu dans les écueils du quotidien, risquer d'en expurger la magie de l'interdit.
Ce qu'il sait en cet instant précis, c'est qu'à son âge, il n'a plus envie de perdre son temps.
- Au fait, demande Dorothée tandis qu'ils se dirigent vers le domicile de Mme Gensart, maman de la petite Manon. Qu'est-ce qui a fait que tu t'es engagé dans la police ?
- J'étais fan de "Starsky et Hutch" quand j'étais petit, lui explique Henry le plus naturellement du monde.
Dorothée tourne vers lui un regard incrédule, auquel Henry répond par un grand sourire empreint de fierté.
Saturé de rancœur, il rumine les griefs qu'il impute aux enseignants, ces incapables, même pas foutus de surveiller une petite fille de cinq ans ! Le cœur lourd de récriminations de plus en plus violentes, il s'accroche aux promesses de représailles qu'il ne manquera pas de leur infliger s'il devait arriver quoi que ce soit à son enfant. L'impuissance le rend fou. Les sanctions tournent en boucle dans son esprit, une soif de vengeance proportionnelle aux tourments qui le rongent. Il ressent le besoin impérieux de faire souffrir autant qu'il souffre.
Dans son esprit, les conjectures se succèdent, entre crainte et espoir, elle est presque affolée, parce que ce qu’on désire follement s’apparente parfois à ce que l’on redoute le plus. Ou le contraire.
Son propre passé se mélange à cette profusion de rage et de violence, la culpabilité qui en découle, le départ de sa femme, la solitude abyssale, et cette sensation terrifiante d'être au fond d'un gouffre d'où il est incapable de s'extraire. Une succession d'émotions l'étreignent avec une férocité qu'il peine à maîtriser : l'amour qui se délite au fil des mois, des années, ce sentiment inconditionnel mis à mal par un déluge de conflits, de reproches dont il rejette obstinément les causes. Son impuissance à endiguer le flots des rancœurs, sa maladresse, sa douleur, l'une et l'autre de plus en plus prégnantes. Et puis le désir secret de se débarrasser de ce poids désormais trop lourd à porter. Comme un poison insidieux qui s'insinue dans ses veines et se faufile, à son corps défendant, jusque dans son cœur. Cette enfant qu'il a chérie de tout son être, Il a fini par en maudire l'existence. Le remords d'éprouver un si abject sentiment, la honte d'être passé de l'autre côté de la barrière, lui, le fils mal aimé qu'une mère a nourri de son désamour. Le refus, l'amertume, l'incompréhension. L'effroyable impuissance qui l'enracine à sa détresse. Enfin, la rancune tenace envers Mylène d'avoir fait de lui ce père indigne dont la présence est devenue plus nocive encore que l'absence de sa mère. L'envie folle de mettre un terme à ce calvaire. L'espoir funeste que cette spirale infernale prenne définitivement fin.
Qu'importe l'âge de nos enfants, le monde s'écroule autour de nous lorsqu'il leur arrive quelque chose.
Et puis, ses sentiments envers son mari sont compliqués.
Bien sûr, le quotidien a depuis longtemps entamé son travail de sape, les habitudes usant la passion. Les années ont peu à peu grignoté les promesses d'un bonheur qui a maintenant troqué son éternité contre une perpétuité encombrante.
Elle, grisée par l'émotion oubliée de plaire à un homme qui n'existait plus que dans ses fantasmes inavouables, et d'ailleurs inavoués. Lui, terriblement rassurant, subtil mélange entre figure protectrice et révélateur d'une sensualité en veille. Il débusquait ses charmes assoupis, dissimulés depuis longtemps derrière son rôle de mère et d'épouse. Elle redécouvrait avec lui le vertige de la légèreté et le plaisir sans devoir.