Chanson de la ville silencieuse

Je n'ai jamais bien su qui était mon père. Qui il était au fond. Pour le comprendre, il me faudrait dresser l'anthologie des légendes. Y opérer un tri. Même si je ne suis pas certaine d'en être capable. Sa biographie regorge de faits, d'anecdotes que je ne suis plus à même que quiconque de valider ou d'infirmer. Il me faudrait aussi me fier à ce que j'ai vu, ce que j'ai cru saisir - mais là non plus je ne suis sûre de rien. Et tenter d'assembler tout cela comme autant de points éparpillés, qui une fois reliés laisseraient apparaître une image. Qu'obtiendrais-je alors ? Rien sans doute. Des figures entremêlées. Des lignes contradictoires. Un puzzle impossible à reconstituer. p. 109

Je suis celle qui aime les marées basses, la brume sur la mer. Les sables nus, les forêts en hiver, la pluie sur les toits. Les stations balnéaires hors saison. La fille sous les lilas des Indes en Ardèche. Celle qui attend un signe d'une amie d'enfance. Celle qui l'a perdue. Celle qui vient rejoindre son père. Celle qui partage son silence au bord des rivières. Celle qui entend des chansons qui n'existeront jamais.

Les escaliers s'effondrent en douceur. Je les dévale sans hâte, les yeux brûlés, aspirée par l'océan lointain, à peine entravée par les allées courbes, enserrées par les façades décrépies où s'effrite un nuancier d'azulejos.

Un promontoire me retient. De l'asphalte surgissent des arbres mauves, dévorés de ciel. L'estuaire se déploie en contrebas, lacéré de rubans turquoise, virant au gris aluminium à la faveur d'un nuage.

Je suis cette fille qui n'est pas sûre de reconnaître son père. Qui n'est pas sûre d'avoir bien compris qu'il était mort. Qui n'a jamais été bien sûre de l'avoir connu un jour.

Si peu me suffit. Je suis cette fille qui n'a pas besoin d'exister pour vivre. Celle qui tremble quand on l'interroge, qui perd ses moyens devant une assemblée, dont le cœur s'affole quand on s'assoit à ses côtés, qu'on lui adresse un mot ou un simple regard. Je suis la fille seule;.. La fille perdue dans ses livres.... Je suis la fille dans les musées, les galeries, qui noircit des carnets.... Je suis la fille qui dresse des listes.... Je suis la fille qui se glisse par les portes cochères.... Je suis la fille dans les églises en été, sur les pelouses des jardins... Je suis la fille de l'Amphi 4.... Je suis la fille qui lit des livres qui n'existent pas encore.... La fille avec deux garçons.... (....).
pages 174-175- 176.

La ferme se nichait dans les hauteurs.
... Mélange d'altermondialistes, de zonard ruraux, d'écolos radicaux et de gauchistes révolutionnaires.

... un livre n'existe pas sans lecteurs ...

Comment fait-on pour vivre. Quels gestes effectuer.Quels mots prononcer. Je l'ignore.

D'acter le fossé qui les séparait d'un monde dont il avait été le prince et qu' il souhaitait déserter.

Des plaids, des théières, des étés bretons. Des soleils couchants. Du famous blue raincoat.