Au large, un voile de pluie barre l'horizon. Le ciel se confond avec la mer.
Des fois je me dis qu'on n'a pas la moindre prise sur nos vies. Qu'on est comme des radeaux pourris ballottés par les vagues et les courants, et que tant qu'on coule pas, c'est déjà bien.
Au large, le ciel se charge de lourds nuages anthracite. Côté terre le soleil inonde les collines, les arbres et les roches. Sur la mer la lumière est violente. Toutes les couleurs semblent décuplées. Le rose orangé vire au rouge sanguin, le blanc du sable à l'or, le bleu turquoise au phosphorescent.
Lui, je crois qu'il adorait ça. Rouler avec sa femme et ses enfants endormis près de lui. Être ensemble en silence. Ça avait toujours été son truc. Pas besoin de se parler pour être bien, il disait toujours. Du moment qu'on est ensemble. (p 76)
Oui tout est si lourd, inextricable, douloureux, effrayant. Et si léger, lumineux, à la fois.
Je ne sais pas ce que ça me fait. Ce que je pense. Où j'en suis. Ce que je vis exactement. Mais peut-être que ça n'a pas d'importance. Qu'il faut prendre acte. De ce qui advient. Et de ce qui a précédé. Et faire avec. Peut-être qu'il faut juste avancer au jour le jour. Même dans le brouillard. Même sans savoir où on va. Même sans savoir ce qu'on ressent, ce qu'on pense. Peut-être que c'est ça la vie. Des sentiments contradictoires. Un mélange permanent de douleur et de joie, de remords, de regrets et d'insouciance, de présent et de passé, de lumière et de ténèbres, de lourdeur et de légèreté.
Souvent quand je marche je regarde à l'intérieur des maisons et ça me fait tellement envie, la vie que mènent les gens. La vie normale. Des fois je me retiens de rentrer chez les autres et de leur demander de m'accueillir, de m'intégrer à leur cercle et de m'expliquer comment ça marche. Comment on fait.
Des fois je me dis qu'on n'a pas la moindre prise sur nos vies. Qu'on est comme des radeaux pourris ballottés par les vagues et les courants, et que tant qu'on coule pas, c'est déjà bien. On n'a pas toujours les moyens d'en demander plus.
Antoine dort. Dans son sommeil il a repoussé le drap. Je détaille son corps mince. Son ossature légère. Ses muscles nerveux. Je me retiens de toucher sa peau. Je le regarde intensément. Pour le fixer dans ma mémoire. Comme si je savais, profondément, que j'étais sur le point de le perdre.
Je vois ses yeux briller et il a souvent l'air d'être sur le point de se briser en milles morceaux. Mais j'aime ça. Sa sensibilité à fleur de peau. J'ai jamais connu de mec comme ça. C'est sûrement ce qui m'a attiré chez lui.
Ca jase un peu à l'école. Surtout que Gabi persiste à appeler Lise sa "deuxième maman". On nous prend pour des lesbiennes. Mais on s'en fout. Qu'est-ce que ça pourrait faire si c'était vrai? Si ça dérange des gens, tant pis pour eux.