J'avais lu la biographie de
Marguerite Duras pour mieux comprendre ses oeuvres. J'ai lu celle de
Françoise Giroud pour mieux comprendre une époque et un métier : le journalisme. le fabuleux travail d'investigation de
Laure Adler, qui a planché 7 ans sur cette biographie, a de nouveau comblé mes attentes.
Françoise Giroud, en soi, ne m'attirait pas spécialement. Trop jeune pour l'avoir connue dans sa splendeur, j'avais en mémoire une vieille femme acérée aux cheveux courts, ancienne compagne de
Jean-Jacques Servan-Schreiber, liée au magazine l'Express et au mouvement féministe. J'en sais maintenant beaucoup plus sur cette battante, née en 1916 d'émigrés turcs et qui, à partir d'un simple diplôme de sténographe, s'est forgé un destin exceptionnel dans un monde autrefois (?) réservé aux hommes : le cinéma, le journalisme et la politique, puis sur la fin de sa vie l'humanitaire et la littérature. Mais apprendre à la connaitre ne me l'a pas rendue plus sympathique et c'est là une des forces de
Laure Adler : mettre en avant les faits et non son jugement, ne pas occulter par complaisance les contradictions et les côtés sombres de son sujet - et "
Françoise" en recèle un certain nombre.
Sans doute influencée par le souvenir de son père qui aurait tant souhaité un garçon, l'originalité de
Françoise Giroud fut de gérer sa vie personnelle et sa carrière avec la même indépendance qu'un homme. Ses deux enfants étant gardés par sa mère, elle pouvait se consacrer entièrement à son travail, tout en apportant ce "petit plus" féminin qui fit son succès : faire entendre le point de vue des femmes dans la presse (en particulier lors de sa collaboration au magazine Elle), ancrer les sujets politiques dans la vie quotidienne (c'est l'orientation qu'elle donna à l'Express), décrypter les tendances avant tout le monde (on dit qu'elle créa la Nouvelle Vague)...
Dans son sillage, c'est aussi toute une époque qui est passée au crible. L'Occupation allemande, la guerre d'Algérie, la fin de la IVe République, Mai 68, le gouvernement Giscard puis celui de Mitterrand, les mouvements humanitaires et féministes…. Tout y est, relaté par ceux qui ont vécu l'actualité. Et le verbe « vivre » est important. Car au temps du plein emploi et de libéralisation des moeurs, où l'espérance de vie était plus courte que maintenant, les gens prenaient très tôt des risques pour bâtir leurs propres expériences, quitte à changer de voie par la suite. Par exemple, en 1962,
Françoise Giroud a autorisé sa fille Catherine Eliacheff, quatorze ans et demi, à partir vivre avec
Robert Hossein et à l'épouser. Impensable à l'heure actuelle ! Cela n'a pas empêché la jeune femme d'entreprendre ensuite les brillantes études de médecine que l'on connaît.
Bravo, donc, à
Laure Adler pour la somme incroyable de documents collectés et d'entretiens tenus pour nous faire vivre au jour le jour toutes ces années. Et une mention spéciale pour son prologue, synthèse intelligente et sensible qui témoigne du respect avec lequel elle a mené ce projet.