Sherlock, Lupin et moi, tome 3 : L'énigme de la rose écarlate

Sherlock eut une moue sarcastique, puis il répliqua en croisant les jambes d’un geste nerveux :
– Je n’arrive pas à comprendre ce que cette période a de si réjouissant…
Il déplia alors ses longs doigts noueux pour énumérer tout ce qui lui paraissait défier l’enthousiasme :
– Les rues pleines de gens affichant des sourires béats, les commerçants qui ne pensent qu’à s’enrichir en vendant leur camelote inutile, la redoutable épreuve d’ingurgiter de la nourriture grasse et malsaine, tu trouves ça « grisant », toi ?
– Envoie à la reine une demande formelle d’abolition de la fête de Noël, comme ça le problème sera réglé !

- Des coïncidences ? Sais-tu bien ce que c’est ? L’excuse qu’invoquent les flemmards pour ne pas se donner le mal de découvrir la vérité !

Quand enfin je franchis le seuil de la Shackleton Coffee House, avec vingt bonnes minutes d’avance, je trouvai Sherlock enfoncé dans son fauteuil préféré.

Comme chaque fois, sa vue suscita en moi une profonde émotion, qui me noua légèrement l’estomac. Une ombre semblait planer sur son visage, auréolé comme toujours de cheveux en bataille, un je-ne-sais-quoi de dissonant et de sinistre qui me mit aussitôt en alerte.

Je connaissais trop bien mon ami pour ne pas comprendre que quelque chose le tracassait.

Je me retournai et, le voyant transi sous la neige, pensai soudain à Violet.
-Et t'a sœur ? Comment va-t-elle ? Sa fièvre est bel et bien tombée ?
Sherlock toussa.
-Oui, oui bien sûr. Elle va mieux. Beaucoup mieux.
-Je suis ravie de l'entendre, répliquai-je en souriant. Transmets-lui mes meilleurs vœux de rétablissement. Et toi, essaie de ne pas tomber malade !
-Entendu ! répondit-il à mi-voix. Merci !
Puis, de but en blanc, il se précipita vers moi et me serra dans ses bras à m'en faire perdre le souffle. Je sentis son visage près du mien, son menton sur mon épaule, la pression de ses mains dans mon dos. Ensuite, sans dire un mot, il s'écarta et disparut dans la bourrasque.

Mes parents croyaient que je me rendais chez Mlle Langtry, mon nouveau professeur de chant, mais en réalité je ne la retrouvais qu’une heure plus tard, après avoir passé un petit moment en compagnie de Sherlock, dans ce café si peu approprié à une jeune fille de bonne famille.

Je n’ai pas besoin de consulter ses pages, désormais jaunies, pour me rappeler ce que je lui avais confié cet après-midi-là : mes pensées du jour à propos de mes deux inimitables amis, Sherlock Holmes et Arsène Lupin. Depuis que j’étais installée à Londres, je fréquentais le premier de manière régulière ; quant au second, il explorait le vaste monde avec le cirque où travaillait son père.

– Malédiction ! m'exclamai-je les dents serrées. Si seulement j'arrivais à me rappeler...

– Te rappeler quoi ?

– Ce que j'ai vu avant de m'évanouir ! Je suis certaine d'avoir aperçu quelque chose, mais c'est comme si mon esprit n'arrivait plus à mettre le doigt dessus !

– Je crois avoir lu que c'est très courant après un choc assez rude, répliqua Lupin. Peut-être n'est-ce qu'une question de temps.

Sherlock opina, fasciné.

– L'esprit humain est comme un vaste labyrinthe, devisa-t-il d'un ton sentencieux. Peut-être qu'en ce moment même, dans une partie de ton labyrinthe, Irene, rôde le fantôme d'un assassin...