Ce tome fait suite à A darkness so great (épisodes 18 à 22) qu'il vaut mieux avoir lu avant, car cette série repose sur l'histoire personnelle du personnage principal. Il comprend les épisodes 24 à 26, 28, 29 et 31, initialement parus en 2015/2016, coécrits par
Mike Mignola &
Scott Allie.
Sebastián Fiumara a dessiné les épisodes 24 à 26 et 31. Dans les épisodes, 24 à 26, les scènes du passé sont dessinées par
Tyler Crook, la séquence d'hallucination est dessinée par
Max Fiumara. Ce dernier a également dessiné les épisodes 28 et 29.
Épisodes 24 à 26 - Abe Sapien se souvient de l'amitié qu'il partageait avec Hellboy, et du sentiment d'appartenance à être membre du BPRP, avec Liz Sherman, sous la houlette de Trevor Bruttenholm. Il se souvient de la remarque de Black Fame lui indiquant qu'il serait au centre de tout ce qui allait advenir. Sa nage finit par l'amener à Suwanee, en Floride, ville majoritairement recouverte par les flots, avec un Ogdru Hem les pieds dans l'eau projetant son ombre sur les ruines de la ville. Alors qu'Abe Sapien prend pied sur le rivage, il est pris pour cible par Lloyd et Isaac. Puis le trio est attaqué par 3 grenouilles anthropomorphes, et Abe Sapien reprend le dessus de la situation. Ils se rendent alors dans l'église où se tient la petite communauté. Autumn ramène des poissons à manger et Abe Sapien fait connaissance avec Jonah Williams.
Épisodes 28 & 29 - Au quartier général du BPRP, Panya convainc l'agent Stazz (Nastassja) de ne pas dévoiler ce qu'elle sait sur la localisation d'Abe Sapien. Ce dernier a poursuivi ses pérégrinations et est repéré par Karen et Kyle qui l'enjoignent avec empressement de les accompagner. Ils l'emmènent voir Maggie (une jeune fille avec l'empreinte d'une main rouge, en peinture sur son front) et sa mère qui sert d'interprète.
C'est la dynamique de la série qui veut ça : tous les personnages du tome précédent sont passés à la trappe. le séjour à Burnham (une petite ville du Texas) est bel et bien derrière Abe Sapien et il n'est plus question de Grace, Dayana, Megan, Arbogast, du père Fores et de monsieur Arbogast. Abe Sapien arrive dans une nouvelle ville sinistrée et il est confronté aux réactions des survivants qui hésitent à voir en lui un sauveur, ou au contraire un signe des temps à venir (une sorte de croisement entre l'être humain et les grenouilles, c'est-à-dire la future race dominante sur Terre).
Comme dans les tomes précédents, la narration penche plus du côté de l'introspection que de celui de l'action. Abe Sapien papote avec les habitants, les écoute, semble condamné à subir leur jugement sur son apparence. Il y a bien des affrontements physiques, mais peu nombreux. Celui contre le Hogdru Hem est très original. Il y a d'autres moments spectaculaires du fait que la série se déroule dans un monde détruit par l'apparition des monstres (voir la série BPRD Hell on Earth), avec des villes en ruine, des campements de fortune, une technologie ayant fortement reculé. Dans la mesure où Abe Sapien est un amphibien, il y a aussi une séquence sous-marine de toute beauté avec une touche d'onirisme.
Le tome s'ouvre avec une séquence de 3 pages dessinées à la manière de
Mike Mignola. Comme d'habitude, ce genre d'hommage fait surtout prendre conscience de l'unicité de l'approche graphique de Mignola, en montrant que les autres dessinateurs n'arrivent pas à faire aussi bien. Comme dans les tomes précédents, le travail de
Sebastián Fiumara est remarquable pour l'ambiance qu'il installe. Il utilise souvent des traits fins pour détourer les contours, donnant une apparence précise et légère aux silhouettes (sauf quand
Max Fiumara se charge de l'encrage). Il préfère les surfaces charbonneuses aux aplats de noir massifs. Par ses dessins, le lecteur est amené à rencontrer des personnages à l'apparence normale, marquée sans être caricaturale, avec des tenues vestimentaires ordinaires et pratiques en cohérence avec la pénurie ambiante dans ce monde ravagé.
Le lecteur ressent tout de suite une empathie avec ces personnages banals, coincés dans leur ville détruite, avec des expressions mesurées. Il constate l'étendue du désastre. Cela commence avec une impressionnante vue arienne de l'Ogdru Hem, masse imposante de plusieurs dizaines de mètres de haut, totalement étrangère à l'humanité, indéchiffrable, arbitraire. Sur la page d'après se trouve une vue aérienne de Suwanee, une ville inondée, comme après une crue de grande ampleur. Comme souvent, ce sont les passages les plus calmes, les moments de repos qui sont le plus porteurs d'émotion : quand Autumn prépare le petit déjeuner, quand Abe croise Jonah Williams sur sa bicyclette dans les rues de la ville déserte, quand Abe se retrouve attablé face à Isaac, en plein désarroi, en proie à la tristesse.
Sebastián Fiumara sait montrer l'émotion de ses personnages, toute en retenue, mais sans que le doute ne soit possible.
La scène finale de l'épisode 26 est consacrée à Gustav Strobl et Vaughn, sur une grande barque, en plein océan.
Sebastián Fiumara réussit à rendre compte de la faible température, de la silhouette imposante qui leur apparaît, de la fragilité de leur esquif, pour une scène saisissante. Cette première partie du récit comprend également 6 pages dessinées par Tyler Crooke, avec une approche moins noire, un peu plus exagérée, tirant la narration vers la caricature, ce qui détonne un peu avec les pages de
Sebastián Fiumara. On passe ensuite aux 2 épisodes dessinés par
Max Fiumara. Celui-ci utilise moins d'aplats de noir, préférant un mélange de traits fins et de traits épais. Il apporte un peu plus de soin dans les décors que son frère. Par contre, il a tendance à exagérer les expressions sur les visages, avec un effet comique plus ou moins bien maîtrisé, pas forcément bienvenu dans le contexte de ce récit. D'un côté les paysages sont plus détaillés et plus texturés, de l'autre le jeu des acteurs est moins nuancé.
Il peut sembler au lecteur que cette série dérivée de celle du BPRD (elle-même dérivée de la série Hellboy) est très secondaire et pas forcément indispensable dans la continuité (Abe Sapien finira bien par réintégrer le BPRD). Contre toute attente,
Mike Mignola intègre 2 informations trouvant leur place dans la mythologie générale de l'univers partagé d'Hellboy. Il y a d'abord une explication sur la place de l'énergie Vril, sur la manière dont elle est confiée à quelques êtres humains choisis. Il y a ensuite un retour en arrière venant compléter une information présente dans le tome 3 de la série Witchfinder The mysteries of Unland.
Au fil des pages, le lecteur ressent ce tome comme une phase décisive dans la recherche d'Abe Sapien. le lecteur a intérêt à bien connaître l'histoire personnel du protagoniste pour comprendre la crise personnelle qu'il est en train de traverser. Il est question de ses liens avec le club Oannes, de son ancienne vie en tant que Langdon Everett Caul, et de plusieurs moments vécus avec la BPRD. le récit renvoie Abe Sapien à plusieurs passages au cours desquels d'autres personnages ont exprimé la vision qu'ils avaient de lui, comme des formes de révélations. La dimension contemplative du récit fonctionne à merveille, accumulant les souvenirs dans l'esprit d'Abe Sapien, et sous les yeux du lecteur, formant un destin tout tracé en même temps qu'une impasse. Il s'agit du fil conducteur de la série depuis le tome 3, et du thème principal lié au personnage. Au travers de cette crise existentielle, le lecteur peut éprouver des questions auxquelles il a déjà été soumis. Peut-on vraiment dépasser les limites de sa nature ? Peut-on changer sa nature profonde ? Notre vie intérieure n'est-elle pas déjà établie dans la mesure où notre moi (ce qui fait notre personnalité, notre individualité) est immuable ? Au travers de ces épisodes, les auteurs interrogent la possibilité d'une évolution chez l'individu, d'un changement dans sa personnalité.
Ces 5 épisodes poursuivent le questionnement intérieur d'Abe Sapien sur ce qu'il est vraiment. le rythme plus contemplatif qu'une série d'action habituelle permet de donner de la consistance à ses interrogations, tout en ménageant plusieurs moments spectaculaires. 5 étoiles.
-
- Épisode 31 - Gustav Strobl et de l'agent Vaughn ont atteint le but de leur voyage, en Norvège. Kobl les emmène dans un bâtiment où il trouve Marbas, son ancien mentor.
C'est ma série, et je fais ce que je veux : ainsi
Mike Mignola consacre un épisode à des personnages secondaires, qui alimentent une à deux pages dans chaque tome depuis le tome 3 de la série. Abe Sapien n'apparaît que dans une seule page (la dernière). le lecteur n'est pas fâché d'enfin voir ce fil narratif secondaire avancer de manière significative. Les coscénaristes font en sorte que Gustav Strobl explique ses motivations à haute voix, comme s'il s'adressait à l'agent Vaughn qu'il a transformé en zombie. le lecteur assiste à un affrontement dont il a du mal à saisir tous les enjeux.
Sebastián Fiumara est égal à lui-même avec des dessins alourdis par des gros aplats de noir aux contours déchiquetés, ou des stries acérées. En fonction des pages, cette approche graphique permet de réaliser des cases menaçantes, pleines d'une obscurité propice à dissimuler des horreurs, ou rendant compte de la noirceur du personnage principal. Dans d'autres pages, le lecteur éprouve la sensation que la composition est mal équilibrée et qu'il n'y a pas beaucoup d'informations visuelles, un encrage appuyé artificiel masquant cette vacuité. le lecteur éprouve l'impression qu'il était un peu plus pressé pour dessiner cet épisode, qu'il n'a pas eu le temps nécessaire pour peaufiner ses cases.
Cet épisode constitue une semi déception pour le lecteur. Il apprend enfin la destination de Strobl et Vaughn. Cette intrigue secondaire avance de manière significative, mais la teneur des révélations laisse un goût d'insatisfaction chez le lecteur. 3 étoiles.