Elle s’appelait Hannah – Mme Hannah Doll.
Au Club des officiers, engoncé dans un canapé en crin de cheval, parmi les gravures équestres et les statuettes équestres en laiton, buvant des tasses d’ersatz (du café pour cheval), je me confiais à mon ami de toujours Boris Eltz :
« En un éclair, je me suis senti rajeuni. C’était comme lorsqu’on est amoureux.
— Amoureux ?
— J’ai dit “comme lorsqu’on est amoureux”. Ne fais pas cette tête. Comme. Une sensation d’inévitable.
Vois-tu… Comme la naissance d’un long et merveilleux amour. Un amour romantique.
— L’impression de l’avoir toujours connue et tout le tintouin ? Vas-y. Rafraîchis ma mémoire.
— Eh bien… On vénère, et c’est douloureux. Très. On se sent très humble, on se sent indigne. Comme toi et Esther.
— Rien à voir. » Boris pointait son index sur moi.
« Pour ma part, c’est juste un sentiment paternel. Tu comprendras quand tu la verras.
— Quoi qu’il en soit… L’instant a passé et je… Et je me suis mis à imaginer à quoi elle ressemblerait sans ses vêtements.
— Ah, tu vois ! Moi, je ne me demande jamais à quoi Esther ressemblerait sans ses vêtements. Si ça arrivait, je serais horrifié. Je fermerais les yeux.
— Et fermerais-tu les yeux, Boris, devant Hannah Doll ?
— Hum. Qui aurait pensé que le Vieux Pochetron pouvait se dégoter une belle plante comme ça !
— Je sais. Incroyable.
— Le Vieux Pochetron. N’empêche, réfléchis. Je suis sûr qu’il a toujours été pochetron… mais il n’a pas toujours été vieux.
Les Allemands ne peuvent pas gagner la guerre contre les Anglo-Saxons et les Slaves. Mais ils ont sans doute encore le temps de gagner leur guerre contre les Juifs.
- C'est vrai. Il n'y a presque plus de carburant. Ou de nourriture. Ils mangent les chevaux.
- Et les chats, m'a-t-on rapporté.
- Non, ils ont terminé les chats.
L'esprit Charlie à Auschwitz
Martin Amis tente ici le "pourquoi", ça ne reste toutefois qu'un "comment" à travers 3 voix principales : le veule responsable du KZ ; le directeur de l'usine associée au camp, "neveu de", fat et néanmoins trop intelligent pour encore y croire ; et puis le chef des Sonderkommandos, dont la seule ambition au jour le jour est celle de ne pas mourir. Une chronique de l'intérieur avec ses jeux de pouvoir misérables.
Un livre qui a fait polémique puisque Gallimard y a vu une daube sans nuances et a refusé de le publier, tout comme l'éditeur historique de Martin Amis en Allemagne. Il m'a semblé que le trait était juste, mesuré, et on sait que c'est un sujet qui tient à coeur à l'auteur. L'esprit caustique aurait donc du mal à passer ? Il faut du pathos pour parler des kz ? Ou bien faudrait-il pour notre tranquillité d'esprit qu'il n'y ait que des très méchants facilement identifiables ? On voit bien aujourd'hui avec la problématique des migrants que le danger ne vient pas des méchants mais des veules, des peureux, des lâches...
Et je n'ai pas pu m'empêcher de faire le parallèle entre Hannah, la belle aryenne (sauf les yeux, hein !) et la Jasmine de Bagdad Cafe, elles viennent toutes deux de Rosenheim !
ps à lire la critique de Joyce Carol Oates dans le New Yorker
Des secrets ? Quels secrets ? Toute l'Allemagne se bouche les narines.
"Alors, combien de cerfs avez-vous abattus ?
- Moi ? Aucun. J'ai tiré en l'air. Quel horrible passe-temps. On voit une belle bête grignotant un buisson d'aubépine, et qu'est-ce qu'on fait ? On la réduit en bouillie avec le contenu de deux canons.
On dort dans la pièce au dessus du crématoire désaffecté (tout près de l’Entrepôt du monopole) où les sacs de cheveux sont traités