Un Amour impossible est l'histoire d'une destruction.
D'une lutte des classes qui a pour terrain la sphère privée et pour objectif la perte, la perdition, la pulvérisation d'une cellule rebelle, coupable d'infiltration dans un monde qui n'est pas le sien: celle d' une mère célibataire et de sa fille, pauvres, sans protection, mais fortes de l'amour qui les unit, de l'espoir qu'elles mettent dans leurs capacités intellectuelles, de la foi qu'elles ont dans leur bon droit.
Un Amour impossible est l'histoire d'une manipulation, d'une entreprise de désagrégation qui manque de réussir. Par le plus atroce des procédés : l'inceste.
Christine , sa mère et sa grand-mère constituent une sorte de monade féminine. Elles habitent en province, à Châteauroux, dans une petite maison, inconfortable et délabrée . Mais elles s'aiment et y sont heureuses.
La grand-mère, de santé fragile, et pauvre, a été abandonnée par son mari et Rachel, la mère , est une fille sans père.
Au moins en porte-t-elle le nom.
Aussi, n'a-t-elle de cesse que de faire reconnaître Christine, sa fille, par son père, Pierre Angot, qui a voulu comme elle cette enfant mais l'a toujours prévenue qu'il ne l'épouserait pas. Autant pour préserver sa liberté que pour éviter ce qu'il a bien garde d'appeler une mésalliance ..même si c'est bien le fond de sa pensée.
Un Amour impossible c'est d'abord celui-là : une "rencontre inévitable"entre deux êtres que ni leur milieu, ni leur éducation, ni leur mode de vie ne destinaient l'un à l'autre.
D'ailleurs, assez vite après la naissance de Christine, leurs rapports s'espacent.
Rachel, femme indépendante, passe concours et examens qui lui font prendre du galon , de même que l'indispensable permis de conduire, et pousse son désir d'affranchissement jusqu'à changer de ville , de logement, de travail. Il devient de plus en plus pressant, à ses yeux, que Christine , qui va entrer dans une nouvelle école, porte le nom de son père. Aussi, passant sur le chagrin qu'elle a éprouvé en apprenant le mariage de Pierre, ce célibataire soi-disant irréductible , lui demande-t-elle instamment de la reconnaître, ce que la nouvelle loi sur les enfants nés hors mariage permet facilement désormais.
Pierre Angot, de mauvaise grâce, finit par s'exécuter.
Mais, dans le même temps où il renoue avec Rachel qui veut que sa fille connaisse ce père, vu seulement trois fois en 12 ans, et qu'il rentre officiellement dans la vie de Christine, il entreprend un viol long, lent, cynique et calculé de cette enfant de treize ans aussi intimidée qu' enthousiasmée par ce père si savant, si intelligent , si différent.
Un Amour impossible, on l' a compris.
Le livre, pudique, ne détaille rien de cet odieux travail de sape. Il faudra lire Une semaine de vacances qui en expose , avec une terrifiante objectivité, l'ultime étape.
Mais la troisième acception du titre résulte de l'attentat perpétré contre la mère et la fille - si soudées, si admiratives, si confiantes, si tendres l'une avec l'autre.
Pendant des années, après la révélation de l'inceste, Un Amour impossible ce sera le leur.
C'est le coeur broyé qu'on suit la destruction de leur entente, minée par la culpabilité de la mère, qui s'en veut de n'avoir rien vu et par la colère de la fille, ulcérée que sa mère n'ait rien fait pour la protéger, pour la défendre, puis rien dit , rien fait pour châtier le coupable.
Même le nom de "maman" devient imprononçable.
Jusqu'à leur explication finale, mère et fille en face à face, qui met les points sur les i , démonte la manipulation du père , son entreprise de destruction de la mère par la fille, et identifie enfin la "punition" infligée à ces deux "femmes de peu" qui se sont avisées de s'infiltrer dans la sphère bourgeoise par le truchement d'un nom.
Un livre poignant mais toujours factuel et retenu, qui réserve ses coups, maîtrise ses effets, et tient serrées les rênes de l'émotion, laissant se dérouler son implacable démonstration.
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Un roman d'amour et de mal de mère.
Le livre raconte l'amour de sa mère pour son père, un grand amour dont on ne sait pas à quel point il est réciproque. Il dit qu'il l'aime, il veut même lui faire un enfant, mais ne veut surtout par l'épouser. Il lui offre de venir vivre à Paris et de louer une petite chambre.
Mais elle préfère rester avec les siens, où naîtra sa fille. Elles auront une relation fusionnelle, elles vivent l'une pour l'autre. La mère tient cependant à ce que sa fille ait un père, elle veut effacer le « père inconnu » du certificat de naissance. Elle demeure donc en contact avec le père qui accepte ensuite de voir sa fille et de la recevoir chez lui.
On sait qu'il s'agit d'inceste, car le sujet du livre est médiatisé, mais, en fait, il sera peu question de la relation avec son père dans ce texte. On explorera davantage ce qui se passe avec sa mère, l'aveuglement, le non-dit, les reproches et la honte. L'auteure aborde aussi l'aspect social du drame.
Un livre qui n'est pas réjouissant, mais qui rappelle que ces horreurs existent et que c'est le silence qui leur permet de se reproduire.
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Christine Angot a mis de l'eau dans son vin, ou alors l'apparente innocence et la simplicité de son récit reflètent l'âme de sa mère, héroïne du texte.
L'amour impossible est d'abord celui d'un petit bourgeois parisien, Pierre Angot, qui se croit sorti de la cuisse de Jupiter et d'une petite fonctionnaire de la sécurité sociale, Rachel Schwarz, de Châteauroux, fille d'un père juif et d'une mère d'origine paysanne. Pour qui connait les antécédents de Pierre Angot, la love story ne sent pas bon dès le début : "ça te plaît d'être une femme", "tu pourrais prétendre à de très beaux hommes". Les mêmes mots à la mère que plus tard à la fille lors de la relation incestueuse (voir L Inceste, Une semaine de Vacances). Mais comment Rachel pourrait-elle savoir? Dans la bouche de Christine-narratrice, cependant, cela résonne comme un blasphème, une humiliation déjà en marche. Un amour impossible parce qu'éprouvé par Rachel envers un monstre froid que nous connaissons déjà par coeur. Un automate sans affects, déjà ressassant les mêmes mots, qui nous apparaissent comme autant d'obscénités.
Un enfant naît de cette passion à sens unique, Christine. Sa mère, qui est encore loin d'avoir compris la nature véritable de son ancien amant, l'élève dans l'idée qu'elle est une enfant de l'amour, désirée par les deux. Très bien. Voilà la petite fille qui se prend à aimer son père. le piège se referme peu à peu. Pendant des années, Rachel tentera de garder le contact, et parfois même, c'est lui qui la relancera. Il aurait mieux valu que le père disparût complètement. Mais comment aurait-elle pu savoir ? L'amour entre la mère et la fille est possible, puissant et fort.
A force d'insister, Rachel obtient de Pierre Angot qu'il reconnaisse sa fille. Christine Schwarz devient Christine Angot, pour toujours. Pour Rachel, comme pour Oedipe sur le point de découvrir le meurtrier de Laïos, c'est une victoire...Comment pourrait-elle savoir ?
Pour se rapprocher de Strasbourg, où vit désormais le père, mère et fille déménagent à Reims. Déracinement, dépression. Et début de l'inceste que nous connaissons bien.
L'amour entre père et fille devient impossible, et la perversité détruit peu à peu celui de Rachel et Christine.
Et puis, miracle, c'est une lente résurrection du lien inconditionnel entre les deux femmes.
Christine comprend peu à peu la nature de son père, et peu à peu Rachel devient apte à l'entendre. le dialogue final est une démonstration magistrale. C'est tout un système social qui a cherché à les détruire, relents d'antisémitisme dans l'après-guerre, mépris de classe, volonté d'anéantissement des Schwarz et de tout ce qu'ils représentent de bas et vulgaire pour cette bourgeoisie qui se croit tout et qui n'est rien.
Car que reste-t-il de la famille Angot ? Rien, seul le nom de Christine la bâtarde rejetée est audible aujourd'hui. Et elle leur rend la monnaie, à ces Angot. Elle porte ce nom, à mon avis, sans fierté, mais parce que c'est le sien, et un étendard de vengeance.
Christine Angot, ce n'est pas de la fiction, ni de l'autofiction, ce sont des mots en ordre de bataille pour dénoncer les non-dits, détruire les paroles qui mentent, et reconstruire la vérité dans un discours qui est un acte, à commencer par son nom.
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