CRÉON : On est tout seul, Hémon. Le monde est nu. Et tu m'as admiré trop longtemps. Regarde-moi, c'est cela devenir un homme, voir le visage de son père en face, un jour.
Oui, j'aime Hémon. J'aime un Hémon dur et jeune ; un Hémon exigeant et fidèle, comme moi.
Mais si votre vie, votre bonheur doivent passer sur lui avec leur usure, si Hémon ne doit plus pâlir quand je pâlis, s'il ne doit plus me croire morte quand je suis en retard de cinq minutes, s'il ne doit plus se sentir seul au monde et me détester quand je ris sans qu'il sache pourquoi, s'il doit devenir près de moi le monsieur Hémon, s'il doit apprendre à dire « oui » lui aussi, alors je n'aime plus Hémon !
Antigone :
Le jardin dormait encore. Je l'ai surpris, nourrice. Je l'ai vu sans qu'il s'en doute. C'est beau un jardin qui ne pense pas encore aux hommes.
C'est vrai, c'était encore la nuit. Et il n'y avait que moi dans toute la campagne à penser que c'était le matin. C'est merveilleux, nourrice. J'ai cru au jour la première aujourd'hui.
Tous ceux qui avaient à mourir sont morts. Ceux qui croyaient une chose, et puis ceux qui croyaient le contraire — même ceux qui ne croyaient rien et qui se sont trouvés pris dans l'histoire sans y rien comprendre. Morts pareils, tous, bien raides, bien inutiles, bien pourris. Et ceux qui vivent encore vont commencer tout doucement à les oublier et à confondre leurs noms.
CRÉON : Tu imagines un monde où les arbres aussi auraient dit non contre la sève, où les bêtes auraient dit non contre l'instinct de la chasse et de l'amour ? Les bêtes, elles au moins, sont bonnes et simples et dures. Elles vont, se poussant les unes après les autres, courageusement, sur le même chemin. Et si elles tombent, les autres passent et il peut s'en perdre autant que l'on veut, il en restera toujours une de chaque espèce prête à refaire des petits et à reprendre le même chemin avec le même courage, toute pareille à celles qui sont passées avant.
ANTIGONE : Quel rêve, hein, pour un roi, des bêtes ! Ce serait si simple.
Rien n'est vrai que ce qu'on ne dit pas...
Créon : L’orgueil d’Œdipe. Tu es l’orgueil d’Œdipe. Oui, maintenant que je l’ai retrouvé au fond de tes yeux, je te crois. Tu as dû penser que je te ferais mourir. Cela te paraissait un dénouement tout naturel pour toi, orgueilleuse. Pour ton père non plus – je ne dis pas le bonheur, il n’en était pas question – le malheur humain, c’était trop peu. L’humain vous gêne aux entournures dans la famille. Il vous faut un tête-à-tête avec le destin et la mort. P68
«C’est bon pour les hommes de croire aux idées et de mourir pour elles.»
Tu l'apprendras toi aussi, trop tard, la vie c'est un livre qu'on aime, c'est un enfant qui joue à vos pied, un outil qu'on tient bien dans sa main, un banc pour se reposer le soir devant sa maison.