Une rentrée de septembre dans un collège ordinaire d'une petite ville sans histoire, deux élèves patientent sur le parvis en attendant d'entrer dans cette année de 3ème. L'une est la star de la cour de récré, l'autre débarque de Toulouse et se tient à l'écart, un peu paumée dans cette nouvelle vie. Un sac à dos trop remonté, un regard en croix et le sort est celé, Orlane devient la souffre douleur de Sarah et c'est le début d'un long chemin de croix.
Si, comme moi, vous avez lu
Raisons Obscures, ce livre va forcément vous rappeler quelque chose. En effet, Amélie a décidé de remanier complètement le texte pour s'adresser à un public plus jeune : les collégiens et lycéens, puisque le thème les concerne directement. On apprend en fin d'ouvrage qu'un jeune sur dix serait touché par
le harcèlement scolaire. Alors est-ce une version édulcorée ? L'écriture est-elle sacrifiée sur l'autel de la jeunesse ? L'impression de relire est-elle forte ?
A l'ensemble, je réponds non. Cette version est différente, évidemment vous allez retrouver des similitudes mais les projecteurs sont plus recentrés, on peut même quasiment les réduire à deux poursuites. Ce n'est donc pas une relecture mais un oeil neuf apporté à cette terrible histoire. Avec un tel attachement à ses personnages, on peut même se demander le degré d'implication d'Amélie : une enfant confrontée à ce problème ou une mère louve souhaitant protéger les siens ? L'écrivaine est toutefois plus prévenante, en posant de temps à autre des entretiens d'enquête pour avertir d'une possible fin plus sombre tout en distillant des points de vue de proches , d'élèves ou de personnels de l'Education sur un aveuglement consenti, mensonger, participatif, mais surtout stupéfait à cause d'une vie où l'habitude et les soucis prennent le pas sur son ouverture aux autres. L'amour est toujours là certes mais si les signes de détresse ne sont pas évidents ou clairement exprimés, on peut passer à côté. Fautifs ? C'est LA question, Amélie y apporte un éclairage particulier.
Les signes, Orlane en a été avare : une confidence à une amie à des centaines de kilomètres et un passage devant une cpe pour des faits qui se sont déroulés devant sa porte. Orlane est discrète, sociable, passionnée de magie, l'enfant du milieu de la fratrie, celle qui ne fait pas de bruit, celle qui ne sort pas du rang sauf peut-être pour ses bons résultats scolaires, celle qui ne dit rien des changements familiaux même si cela la contrarie. de fait, elle ne sera donc pas une poucave, une balance pensant au début que le problème se réglerait de lui-même, puis doutant de sa personnalité et enfin prise dans cet engrenage du « et ça continue encore et encore, c'est que le début d'accord d'accord » (citation conjointe de Cabrel et d'Amélie). La romancière montre cette descente graduelle vers l'abîme. Un abîme de solitude, de stress, de mal-être et surtout la difficulté à extérioriser, cette honte à s'exprimer, cette inconscience du statut de victime malgré des accès de rage très vite contenus face au mur de la peur.
C'est un match de boxe à sens unique, l'une seulement donne des coups, l'autre encaisse. Sarah, elle aussi fait partie d'une fratrie. Un petit frère adorable, des parents ordinaires, mignonne, pas bosseuse mais entourée. Mais voilà Sarah a un statut à défendre, elle est populaire. On guette ses attitudes, on l'envie, on la suit. Une princesse régnant sur ses courtisans. Ses dires font loi. L'arrogance est un trait de caractère chez elle mais qui cache un secret. Une maladie dont elle souffre, déclarée avant les grandes vacances. Honteuse de devoir vivre « presque » comme tout le monde, peur d'être différente. Asseoir son pouvoir sur l'autre devient alors une planche de salut, manger ou être mangée, le choix est rapide quand un rang est à tenir.
Amélie Antoine donne une clé dans la compréhension mais n'excuse pas pour autant surtout au travers de quelques réminiscences du passé.
Le lecteur devient alors spectateur. L'incompréhensible suit le meilleur du pire et dans le pire Sarah est la meilleure. Pourtant, l'auteure montre que cette harpie est douée de sentiments et qu'elle peut basculer à tout moment. Rien n'est tout noir ou tout blanc.
La confiance est un mot à cultiver pour ces deux adolescentes, proches au point qu'une amitié semblait possible et pourtant…
Ce livre fait partie des lectures électrochocs sous une forme romancée, une plongée dans l'enfer du harcèlement. Amélie a choisi de balayer une partie de la problématique du roman adulte pour se recentrer sur le souci principal et ainsi exposer directement le message pour son lectorat. Même si ce livre est principalement destiné aux collégiens et lycéens, je conseille toutefois, une lecture parentale avant de le confier à des 6ème par exemple pour anticiper de futurs échanges. Une postface d'
Emmanuelle Piquet revient brièvement sur la thématique et des contacts sont aussi détaillés pour répondre immédiatement à un besoin de se confier.
En conclusion, j'adresse un merci à Amélie pour cet ouvrage. En premier lieu car il traite d'un sujet qu'on a trop souvent laissé de côté pensant à des broutilles ou des chamailleries mais surtout pour un livre qui a fait sens dans ma vie personnelle dans l'un des sujets annexes évoqués. J'espère que ce bouquin aura un retentissement fort envers le public qu'il concerne en priorité.