Citations sur Des jours d'une stupéfiante clarté (46)
Bois, mon petit, le café vivifie l’âme.
Theo pensa soudain : Au camp, on parlait une autre langue, une langue réduite, on n’utilisait que les mots essentiels, voire plus de mots du tout. Les silences entre les mots étaient leur vrai langage. Un jour, un compagnon de son âge, pour qui il avait de l’estime, lui avait confié : « J’ai peur que nous soyons muets lorsque nous serons libérés. Nous n’avons presque plus de mots dans nos bouches. »
Des ailes, mon chéri, il nous faut des ailes. Sinon nous piétinons comme des poules. Seul Bach peut nous élever.
Il y a peu encore, il pensait que les collabos s’étaient eux-mêmes retranchés de la communauté des hommes. Ils avaient un visage différent. Ils seraient exécutés le jour de la libération. Et maintenant, à sa grande stupeur, ils lui apparaissaient comme des hommes.
Le silence était si épais qu’on eût pu le découper en cubes.
Madeleine scruta Theo : « Quand tu le retrouveras, tu verras qu’il a changé. Le camp nous a tous changés. – En quoi ? – Avant les camps, nous ne savions pas discerner l’éphémère de l’immuable. À présent nous avons une autre compréhension des choses.
« Qu'est devenue la librairie ?
— Papa l'a vendue.
— Dommage. C'était son refuge lorsqu'il traversait une période difficile. Il aurait voulu faire des études, mais ses parents n'avaient pas d'argent pour lui en payer. Il lisait beaucoup et possédait des connaissances dans de nombreux domaines. Il me sidérait tout le temps.
— Moi, je n'ai pas excellé dans les études, répéta Theo.
— Mais Yetti t'emmenait dans des églises et des monastères. Ce que tu as vu est resté en toi jusqu'à ce jour.
— C'est vrai.
— Chacun apprend de manière différente. Tu as été en contact avec des choses dissimulées dès ton plus jeune âge.
— Mais je ne les comprenais pas.
— Nul besoin de comprendre », dit Madeleine, tandis qu'un sourire plissait ses lèvres.
Maintenant, Théo comprenait ce qui lui échappait auparavant : son père aimait sa femme profondément et il était attentif à ses fantasmes. Il travaillait du matin jusque tard dans la nuit pour qu'elle puisse s'acheter autant de vêtements, de produits de beauté qu'elle le souhaitait, et se rendre en première classe dans tous les lieux qu'elle aimait. Il ne voulait pas lui dire non.
Théo pensa soudain : Au camp, on parlait une autre langue, une langue réduite, on n'utilisait que les mots essentiels, voire plus de mots du tout. Les silences entre les mots étaient leur vrai langage. Un jour, un compagnon de son âge, pour qui il avait de l'estime, lui avait confié : " J'ai peur que nous soyons muets lorsque nous serons libérés. Nous n'avons presque plus de mots dans nos bouches."
Théo était d'accord avec lui mais ne savait comment l'exprimer.
p. 198
Manfred connaissait par cœur des poèmes de Rilke, Else Lasker-Schüler, Rimbaud et d'autres encore qu'il récitait nuit après nuit.
Après une journée de travaux forcés, l'esprit n'était pas capable d'absorber des expressions délicates, mais là voixde Manfred imprégnait chaque strophe d'une mélodie qui transportait les gens vers leurs êtres les plus chers. Ils s'endormaient au bout d'une demi-heure, tandis que la voix de Manfred continuait de réciter jusqu'à ce qu'il s'endorme à son tour.
p182