LA NAISSANCE DU PRINTEMPS
à Jacques Decourt
AVRIL renaît Voici ses rubans et ses flammes
Ses mille petits cris ses gentils pépiements
Ses bigoudis ses fleurs ses hommes et ses femmes
Je lui fais de ses couleurs tous mes compliments
Dieu que de baisers fous sur l’appui des fenêtres
Nous n'avons pas fini de compter les baisers
Il y a des semaines entières sous les hêtres
Où chantent les pinsons au plumage frisé
Avril n’a pas toujours vécu sous les lambris
Il fut petit pâtissier puis compte-goutte
Il gagna son pain à la sueur de son front
De fil en aiguille il devint contrôleur des finances
Enfin par un soleil de tous les diables
Il tomba tout à coup amoureux
p.114
LE RÊVE BLEU
à Man Ray
Les rayons de mes yeux se brisent
La sueur de mon front s'élève dans le ciel
Je tourne les mains vers les petits oiseaux
Ils sont juste en train de voler des cerises
Je prends des épingles sur la pelote
D'épingles
J'en fais cadeau le long des boulevards
À tous les revers de pardessus
Je saute d'un refuge à l'autre
J'éclabousse de rire les passants
Devinez qui je suis Pour tout dire
Je porte une lettre à la poste
Des chaussettes qui rappellent parfois les grands espaces polaires
Devinez devinez
Je suis le Bon Roi Dagobert
p.128
Isabelle
J'aime une herbe blanche ou plutôt
Une hermine aux pieds de silence
C'est le soleil qui se balance
Et c'est Isabelle au manteau
Couleur de lait et d'insolence
"Secousse"
BROUF
Fuite à jamais de l’amertume
Les prés magnifiques volants peints de frais
tournent
champs qui chancellent
Le point mort
Ma tête tinte et tant de crécelles
Mon cœur est en morceaux
Le paysage en miettes (…)
Isabelle
( À madame I.R.)
J'aime une herbe blanche ou plutôt
Une hermine aux pieds de silence
C'est le soleil qui se balance
Et c'est Isabelle au manteau
Couleur de lait et d'insolence
Plus besoin de soulever mes paupières
Ni de lancer mon sang comme un disque
Ni de respirer malgré moi
Pourtant je ne désire pas mourir
La cloche de mon cœur chante à voix basse un espoir très ancien
Cette musique Je sais bien Mais les paroles
Que disaient au juste les paroles
Imbécile
BOUÉE
Dans une neige de neige
un enfant une fois
jeta l'âme de lui
et il ne savait pas
il ferme les paupières des yeux
Un couple
il veut dire un homme et une femme
une fois une fois
tout le long du chemin
un couple d'eux deux
Le froid et le chaud une fois
Or il fut sur le point
Or il se mit
il chantait
il mange une gaufre au soleil gaufre
L'image d'elle dans l'eau
Une fois dans l'eau une fois
c'était un fleuve d'eau
L'eau mouille clair blanc
Fleur humide
p.78
Exténué de nuit
Rompu par le sommeil
Comment ouvrir les yeux
Réveil-matin
Le corps fuit dans les draps mystérieux du rêve
Toute la fatigue du monde
Le regret du roman de l'ombre
page 52
UNE FOIS POUR TOUTES
Qu'est-ce que parler veut dire?
— Semer des cailloux blancs que les oiseaux mangeront.
Que redoutez-vous le plus au monde?
— Certains animaux lents qui se promènent après minuit autour des arbres de lumière; les autobus aussi.
Qu'auriez-vous voulu être?
— Le passé, le présent, l'avenir.
Qu'appelle-t-on vertu?
— Un hamac de plaisir aux branches suprêmes des forêts.
Courage?
— Les gouttes de lait dans la timbale d'argent de mon baptême.
Honneur?
— Un billet d'aller et retour pour Monte-Carlo.
Aimez-vous la nature?
— Sur mon berceau parfois se penchait un lévrier triste comme les bijoux ensevelis dans la mer. Des flammes dansantes passaient au-dessus de mon front avec des colliers de marguerites. Des dames faisaient la révérence devant le crépuscule. Un beau soir il n'y eut plus personne au bord de l'eau.
Qu'est-ce que l'amour?
— Un anneau d'or dans les nuages.
Qu'est-ce que la mort?
— Un petit château-fort sur la montagne.
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— Un palais fermé par les plantes, un glaçon sur le cours de la ville, un regard vers le paradis.
Je ne vous demandais rien.
— Ah?
p.71-72
Sur l'amour on avait écrit
Sortie de secours interdite en cas d'incendie
Sur le ciel on avait écrit
Vous vous trompez ce n'est pas par ici
Et sur la nuit on avait écrit
On n'avait écrit rien du tout sur la nuit.