L'Art est un révélateur. Il rend visible l'invisible. Une fois de plus, j'en ai eu la preuve à travers ce roman, consacré à la peinture vénitienne de la fin du XVIe siècle. Prenant comme point de référence, une constatation scientifique au sujet d'un portrait du Titien,
Metin Arditti recrée le parcours d'un juif naturellement doué pour le dessin, devenu le plus grand peintre de Venise, en se faisant passer pour un chrétien grec. Et donc, loin des clichés historiques, nous retrouvons ce monde fait d'apprentis, de maîtres, de commanditaires et d'esthètes. Un monde d'ambitions, de déceptions et de frustrations. Mais parfois, également de respect, d'amour et d'amitié.
Ce n'est pas pour rien que les premières victimes de tout pouvoir totalitaire sont toujours des intellectuels et des artistes… Ils font réfléchir en renvoyant à la société sa propre image : parfois complaisante, souvent critique, voire déformée. le rôle de l'artiste est donc non pas de servir la soupe au public mais bien de lui secouer les neurones. Ainsi la technique du Turquetto s'est-elle mise au service de l'Église et de la noblesse pendant des décennies, mais quand un certain événement se produit, elle devient son arme pour « tuer » son ennemi.
Le tout se double d'une réflexion sur le rapport des trois religions du Livre avec l'image, toujours conflictuelle.
Enfin, la série de portraits typés où les humbles ont une grandeur d'âme perdue par les nantis, est assez jouissive…
Par contre, l'historien d'art (désolé, déformation professionnelle) a fortement réagi en lisant (page 144) que « le plafond était orné d'une fresque immense qu'avait peinte
Tiepolo ». Ce chapitre se déroule à « Venise juin 1576 » (page 141). Or,
Giambattista Tiepolo, le peintre rococo, est né à Venise, le 5 mars 1696. Donc le lieu est bien exact ; par contre, l'époque est complètement erronée. Mais à part cet anachronisme pictural, ce roman est une excellente introduction à des lectures plus sérieuses sur le Titien, le Tintoret ou Véronèse.