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Le pluriel du titre, "Les Politiques" et non "La politique", se justifie de mille manières, auxquelles on peut ajouter une autre : l'ouvrage est multiple, varié et composite. Pierre Pellegrin, traducteur et préfacier, explique lumineusement la chose, et la lecture, voire l'étude, de son introduction, sont indispensables à l'entrée dans ce livre. Il fait justice de l'opposition facile que l'on a enseignée entre un Platon spéculatif rêvant de cités idéales, et un Aristote réaliste et soucieux de phénomènes concrets, puisque ce livre s'inscrit, selon lui, dans la recherche grecque de la meilleure des cités possibles. Il signale qu'Aristote intervient comme "peut-être le dernier penseur du politique", puisque la forme politique de la cité disparaît avec l'époque hellénistique et les empires dans lesquels les cités sont englobées, au point de n'être plus que des communautés municipales autogérées sous l'égide d'un pouvoir central extérieur. Bref, on comprendra qu'une lecture strictement personnelle, sans recours à la tradition interprétative, serait une vaine entreprise.

Pourquoi lire Les Politiques aujourd'hui ? Plusieurs raisons se présentent à l'esprit, en dehors de la saine nécessité de se cultiver. L'une d'elles est que nous sommes témoins, actuellement, d'un processus de passation de pouvoirs : les anciens pouvoirs dépendaient de l'élection et du suffrage populaires, plus ou moins universels en droit sinon en fait, suffrages très fortement influencés, et même fabriqués, par des médias dont l'emprise suit les intuitions de Edward L. Bernays. C'était encore trop, et la réalité du pouvoir échoit désormais à des instances non élues, des cours suprêmes, des commissions, des conseils de sages. Donc le souci du bien commun, de la vie de la cité, du bonheur des citoyens, échappe aux citoyens eux-mêmes. Or l'homme selon Aristote est un animal politique, à savoir qu'il n'est pleinement heureux, pleinement lui-même, qu'en une communauté où il participe au bien commun. S'il est privé de cette participation, il est comme réduit en esclavage et dépossédé d'une grande part de son humanité : cette mutilation contemporaine, Aristote nous aide à la penser et à méditer sur elle. "Une cité est la communauté de la vie heureuse, c'est-à-dire dont la fin est une vie parfaite et autarcique pour les familles et les lignages" (III-9) : une agglomération d'hommes aliénés, étrangers les uns aux autres et à eux-mêmes n'est pas un lieu de bonheur. Rien de bon ne peut en sortir, car "c'est en vue de belles actions qu'existe la communauté politique, et non en vue de vivre ensemble." (ibid)

Il découle de là que l'analyse aristotélicienne de la tyrannie nous donnera des armes conceptuelles pour comprendre ce qui nous arrive. "La tyrannie aime le vice", dit l'auteur, qui décrit comment les régimes autoritaires, illibéraux dira-t-on, tordent la loi pour protéger leurs complices et partisans et persécuter leurs adversaires, ou ceux qu'ils désignent comme tels. En effet, la loi est le médiateur entre le gouvernant et les gouvernés : les deux parties doivent s'y soumettre afin de trouver un terrain d'entente et un langage communs. "Vouloir le gouvernement de la loi c'est, semble-t-il, vouloir le gouvernement du dieu et de la raison seuls, mais vouloir celui d'un homme, c'est ajouter celui d'une bête sauvage, car c'est ainsi qu'est le désir, et la passion fait dévier les magistrats, même quand ils sont les meilleurs des hommes. Voilà pourquoi la loi est une raison sans désir." (III-16) Dans un régime illibéral, la loi gêne, et les juges confisquant le pouvoir s'empressent d'en faire le déguisement de leur arbitraire. C'est pourquoi le régime illibéral, constitué de canailles en col blanc, s'appuie sur ce qu'Aristote décrit comme la lie de la société, à qui profite le laxisme judiciaire : aujourd'hui, cette lie s'appelle la racaille, au dessus des lois, comme ses protecteurs. L'ennemi commun, c'est le citoyen honnête, qui obéit aux lois parce qu'elles sont lois, non parce qu'elles expriment la volonté du tyran. Obéir aux lois est une offense insupportable pour ceux qui les déforment à leur profit.

Il y aurait mille choses à dire encore sur ce volume qui est plus une encyclopédie de pensée politique qu'un ouvrage tracé au cordeau. Pierre Pellegrin suppose que le volume a été maintes fois repensé et remanié par les éditeurs antiques. Il lui semble que Les Politiques sont "un ensemble de textes ... constituant les matériaux de ce qui aurait pu être un ouvrage au sens plein du terme." Il faut donc savoir s'y perdre, s'y promener et y cueillir ce qui peut aider à comprendre notre temps.
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L'apport majeur d'Aristote à la pensée politique, c'est l'approche pragmatique et scientifique que revêt son oeuvre.
Il est en effet instruit à la médecine et la biologie ce qui aura un impact sur ses analyses. Il apprend de son maitre Platon autant que de ses rapports avec les puissants, comme Alexandre le Grand dont il sera le précepteur.
Il observe la vie politique athénienne de l'extérieur, son statut de métèque le privant de toute intervention directe dans les affaires de la cité.

Aristote mêle deux objets d'analyses, le premier l'homme et le second découle du premier, il s'agit du regroupement d'hommes avec une finalité commune, à savoir la cité.

Pour Aristote, l'homme est fait pour vivre en cité, il est par nature un « animal politique ».
Partant du postulat que la « nature est fin » les hommes sont par nature amenés à se regrouper en cités, lieu où s'exerce la politique, dans le but de vivre une vie heureuse.
Reste à l'homme à trouver le gouvernement capable de conduire la cité jusqu'au bonheur, c'est alors l'affaire de tous, les grecs ne connaissent pas l'individualisme et la quête du bonheur ne peut être que collective.
En outre, c'est parce que l'homme sait, grâce au langage, faire la différence entre le juste et l'injuste qu'il parviendra à exercer ce pourquoi il est, à savoir la politique au sein de la cité.

Néanmoins, il ne s'agit pas de n'importe quelle cité, elle doit être centrée sur le juste en vue du bien-être de chacun. Cela implique de choisir le gouvernement le plus adéquat. Aristote pourtant n'invente rien, mais éclaire les lecteurs sur les gouvernements déjà existants et éclaire leurs limites, notamment celles de l'oligarchie, mais s'il est favorable à la participation en nombre des citoyens, il n'est pas favorable à la démocratie pour autant et il en éprouve aussi les limites.
La finalité de la cité, c'est de mener une vie heureuse, dès lors ce n'est ni atteindre l'égalité arithmétique parfaite de la démocratie en faisant fi de la vertu nécessaire pour gouverner, ni de faire de la richesse l'étalon de mesure de la participation à la vie politique de la cité. de telles conceptions conduiront à des contrefaçons de la cité véritable, controuvées par la conception relative du juste des démocrates et des oligarques.
Comme Platon avant lui, Aristote exhorte les citoyens grecs à ne pas s'arrêter à une justice conventionnelle qui soit le fruit d'un accord entre les hommes, comme le défendent ardemment les sophistes, qui ont gagné d'ailleurs, une telle justice ne dira point ce qui est juste ou injuste dans l'absolu.
Quant à la ou les personnes physiques chargées d'incarner le pouvoir dans la cité même les plus vertueuses ne peuvent se passer de la masse des citoyens, car si leur vision individuelle peut être irrationnelle, leur voix collective a de plus grandes chances d'être juste, de plus, leur refuser toute participation revient à remplir la cité de frustration et de haine.
Seulement, permettre de participer à des citoyens qui n'ont pas de compétences particulières n'est pas sans danger, à cela Aristote répond que les citoyens confrontés au fonctionnement des institutions n'en ignorent pas tous les rouages.

le juste doit donc guider l'action des gouvernants en vue du bien-être, mais cette cité idéale n'est pas à chercher dans un quelconque monde des idées, intelligible, mais bien sur terre, entre les lignes des constitutions. C'est le rôle du législateur.
Aristote interroge enfin le lecteur sur ce qui fait un homme de bien, il va sonder les âmes pour les diviser en deux parties et ainsi dévoiler les deux versants de la raison, la raison pratique qui guide l'action et la raison théorique qui voit la finalité.
Autrement dit, pour Aristote si « la fin justifie les moyens » elle ne doit pas se confondre avec eux. La guerre ne fait pas une constitution, la richesse ne poursuit pas la fin de la cité.
Pour éviter cela, Aristote enjoint le législateur à la pédagogie, à « philosopher à coups de marteaux » pour faire entrer cela dans l'âme des citoyens.
Peut-être est-ce, comme le pense son maitre Platon, au philosophe d'endosser cette tâche peu aisée pour laquelle il est le seul à pouvoir prétendre.
(#2014)
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***Attention, cet article n'est pas à proprement parler une critique de l'oeuvre***

Il était une fois, dans un pays tout proche, une jeune demoiselle obligée d'assister à des cours de philosophie afin de passer une terrible épreuve plus difficile que tuer un dragon à six têtes : obtenir son baccalauréat !

Ladite demoiselle était en grande détresse et ne voyait aucun Prince Charmant à l'horizon venir à son secours. Les heures passées en cours de philosophie étaient autant de séjours tortueux dans la haute tour de Babel où tous les habitants parlaient une autre langue que la sienne et, du coup, la pauvre demoiselle ne comprenait rien mais alors pas un mot au charabia qui sortait des lèvres de son professeur, une espèce de vieille sorcière avec une vraie verrue sur le nez, une craie en guise de baguette dans sa main osseuse, et entièrement vêtue de loques soixante-huitardes surmontées d'une écharpe en imitation PQ... La pauvre demoiselle en détresse avait peur, très peur de devenir folle à ce train-là alors, pour se prémunir, elle s'auto-charmait en griffonnant des petits poèmes sur des petits bouts de papier, recroquevillée dans un coin de la salle de classe...

Ce calvaire dura une longue année, l'heure fatale de l'ultime épreuve arrivait, juin et les examens approchaient au galop. La pauvre demoiselle en détresse n'avait jamais réussi à avoir une note supérieure à 3/20 de toute son année d'apprentissage et devant l'énorme crainte que suscitait le coefficient x7 de l'épreuve à venir, elle tenait à peine sur ses petites jambes... Désespérée, elle allait perdre tout espoir quand une fée lui apparut en songe et lui susurra à l'oreille ces mots étranges : "voici une formule magique qui résoudra tous tes problèmes, tu n'auras qu'à l'écrire dans ta copie et tu limiteras la casse ! Retiens-la bien dans ta mémoire, je ne la dirai qu'une seule fois : Aristote a dit que "l'homme est un animal politique", n'oublie pas cette formule qui fera un miracle !". Et la fée disparut aussi vite qu'elle était venue !

Le jour de l'épreuve, la malheureuse demoiselle en détresse ne regarda même pas son sujet d'examen, elle écrivit fébrilement sur sa copie qu'Aristote avait dit que "l'homme est un animal politique" puis elle essaya de regrouper absolument tous les mots étranges et incompréhensibles qu'elle avait entendus pendant les affreux cours de philosophie et noircit ainsi quelques pages de son écriture maladroite.

Quelques jours plus tard, le miracle opéra, comme promis par la fée, et la demoiselle en détresse obtint un formidable 8/20 !! L'épreuve était gagnée, elle fut reçue bachelière, fut délivrée à jamais de la philosophie et des vieilles sorcières soixante-huitardes et fut très heureuse le reste de sa vie.

***

Depuis, j'ai (un peu) grandi, je ne suis plus (tout à fait) une demoiselle, je ne suis plus (que rarement) en détresse mais je suis toujours (hélas) aussi hermétique à la philosophie !

La morale de cette histoire, c'est que grâce à ma bonne fée, je peux citer à vie Aristote...


Challenge AUTOUR DU MONDE
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Les Politiques, d'Aristote, ne sont pas un témoignage antique ; elles sont une clé de compréhension des institutions et questions politiques en général, et en particulier dans notre époque contemporaine. En effet, Aristote écrivait durant une période de décadence des cités grecques, de crise politique et de doute sur la justesse des institutions, dont il analyse les causes d'une corruption grandissante... toute ressemblance avec des faits et personnages réels contemporains, notamment en France, ne serait que pure et fortuite coïncidence.
Il ne s'agit pas d'un traité centré sur la politique au sens politicien du terme -la vidée est donc plus large que la problématique du Prince de Machiavel- . Aristote s'intéresse à l'ensemble des entreprises humaines, dans toutes ses dimensions sociales, à l'intérieur de la Cité.
Sa lecture est tout à fait accessible, s'il on admet 530 pages -finalement peu, pour un programme aussi ambitieux- et une obligation de revenir parfois sur certains passages, car la structure des chapitres est assez complexe, avec des développements qui peuvent parfois sembler contradictoires. Personne n'ayant eu accès à la version originale en hélène, il faut bien faire avec...
Certains passages pourront sembler rétrogrades -comme en ce qui concerne les esclaves et la place des femmes-, mais ils sont à remettre dans le contexte historique ; et d'autres sont tout simplement visionnaires, comme sur l'éducation, la constitution idéale, la justice et l'homme issu de nature -que prolongera Rousseau-.
Un grand ouvrage de philosophie, politique et tout court, incontournable et plein d'actualité...
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Ouvrage fondamental d'une densité intellectuelle à laquelle on ne s'attend pas en première approche.
On pense à tort que les textes antiques n'ont pas grand chose à apporter au lecteur actuel, en particulier quand celui-ci se pense familier avec la pensée antique et a étudié les textes "fondateurs" des modernes. Quelle erreur monumentale!
Vingt quatre siècles n'ont rien enlevé à la pertinence et à la profondeur du texte d'Aristote, qui contient déjà toutes les questions qui ne cessent de secouer nos sociétés actuelles: relation au pouvoir, corruption, détérioration et dégénérescence des régimes, relations interpersonnelles entre les citoyens, éducation, modération des pouvoirs, justice, objectif de la vie en société... tous les auteurs qui se sont intéressés à ces questions depuis l'Antiquité n'ont fait que développer des arguments sur ceux déjà présentés par Aristote, consciemment ou non.
Lui-même n'est pas le premier à avoir abordé ces questions: disciple de Socrate et contemporain de Platon et de sa République qu'il critique d'ailleurs dans ses Politiques, Aristote commente les Constitutions grecques de son temps sans édulcorer son propos et n'hésite pas à tancer ceux qu'il estime le mériter. A partir de ces exemples de son temps, il bâtit une théorie générale de la Politeia, forme d'organisation politique de la vie en société.

Son texte a néanmoins subi les outrages du temps, et nous est parvenu sous une forme à la fois partielle et altérée, certains commentateurs n'hésitant pas à ajouter des passages. Pierre Pellegrin, qui a dirigé l'édition des oeuvres complètes d'Aristote chez Flammarion (2nde édition en 2022), explique très bien le parcours de ce texte hors du commun dans son introduction. La traduction qu'il livre ici est parcourue de commentaires sur le texte et sur les précédents travaux de traduction, qui apportent des précisions souvent très pertinentes et utiles, sans alourdir le texte de remarques superflues comme il arrive que ce soit le cas pour des ouvrages de "philosophie".

Un très bon ouvrage, présenté dans une riche traduction et parée d'excellents commentaires pour accompagner le lecteur au cours de son périple en compagnie d'Aristote: difficile de demander mieux sans devenir ingrat.
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Les Politiques d'Aristote sont un Essai sur la nature des gouvernements.

L'objectif y est de cerner quelle serait la cité idéale, c'est à dire celle permettant à ses citoyens d'y être heureux et vertueux.

La méthode d'Aristote est méticuleuse et suis le plan suivant:
-Explication de notions d'économie.
-Etude des constitutions politiques existantes, réelles ou théoriques.
-Réflexions sur les 3 grandes familles de gouvernements: Démocraties, Oligarchies et ceux qui sont entre les deux.
-Analyse des facteurs qui permettent de maintenir ou renverser chaque type de gouvernement.
-Propositions de mesures pour l'organiser sociale (séparation en classes, éducation, règles conjugales, etc...)

Le livre se veut vivant et s'appuie sur de nombreux exemples tirés du réel... de l'époque, et c'est à la fois sa principale qualité et plus gros défaut.
Il est très plaisant d'en apprendre plus sur l'organisation politique Crétoise ou Carthaginoise ainsi que diverses anecdotes.
D'un autre coté, son contenu et son contexte ont trop vieillis pour garder toute sa pertinence.

Aristote ne donne pas de réponse définitive à quel est le meilleur gouvernement. Il adopte une approche relativiste et affirme qu'il n'a pas de réponse unique et que cela dépend de la nature de chaque Cité.

Pour résumer, j'ai trouvé cette lecture intéressante plus pour l'aspect historique des idées qui y sont présentées que leur qualités propres.
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