“Dans sa voiture il avait englouti un sandwich au bœuf à dix étages, grappillé des cookies et bu un coca. C’était de la nourriture pour chiens et il rêvait d’un vrai plat d’homme tel l’aligot de son Aveyron natal.”
“Dans ces moments-là, il se disait que la 2ème DPJ manquait sérieusement d’une masseuse. C’était plus utile qu’une imprimante et pourtant moins reconnu d’utilité publique par l’administration.”
“la beauté le ramollissait. A force elle finissait par l’agresser.”
“Vraisemblablement un seul tireur avec des nefs d’acier. Et deux refroidis de saturnisme violent.”
Il fallait reculer mon départ. Tenir et attendre qu’elle fasse son numéro. La famille c’est sacré. Promis, juré, craché.
Au bout de quarante-cinq minutes, le substitut du procureur arriva sur les lieux du crime. Duchesne lui résuma les circonstances avec des phrases ponctuées de qui plus est. Le chef de service du 2e DPJ fit une brève apparition avant de repartir, tandis que la silhouette charpentée de Jo Desprez s’imposait. Aux pieds, il portait de très élégants souliers bicolores : il venait de la Crime. Leur élégance disparut sous les surchaussures. Il avait l’air d’humeur bougonne et c’était son naturel.
Tout le groupe de répression du banditisme du 2e District de police judiciaire participait au dispositif pour sécuriser les hypothèses de fuite. La BRI2 du quai des Orfèvres avait rappliqué en renfort. Le périphérique n’était pas loin et c’était une rampe de lancement pour les braqueurs. L’A1 avait aussi leurs faveurs, de même que l’A 86 — pour disparaître dans le 94. Marc Valparisis et Nicolas Imbert cuisaient dans leur fourgon, tandis que Julien Roux, un jeune gardien de la paix à moto, domptait l’impatience de sa Yamaha Fazer 600. Le commandant Duchesne, chef de section de la Criminelle, ne manquait pas à l’appel. Toujours soigné, la frange trop courte, contrairement à sa cravate, un regard d’enfant en contraste avec de profondes rides soucieuses. L’intervention extérieure de la BRI imposait que la hiérarchie garde un œil. Avec Stella Auger à ses côtés, ils auraient formé le couple parfait dans leur Ford Mondeo, si la policière n’avait pas renversé le thermos de thé du commandant. Redoutant de donner un mauvais tour à la surveillance, il avait ravalé ses envies de réplique. Ils s’étaient positionnés pour conserver une vue générale.
Pris en tenaille entre les avenues de Flandre et Jean-Jaurès qui se ruaient vers le nord-est de Paris, les quais du bassin de la Villette attiraient les contemplatifs. La diversité du quartier n’était pas qu’un alibi politique. Ici, elle résistait aux assauts et flâner valait un tour du monde bon marché.
« Et puis, Daoud a le bras tellement profond dans la came qu’il n’a aucune raison de nous retirer notre carte de fidélité. »
Après un temps, le lieutenant Valparisis ajouta :
« Nico, laisse un léger filet d’air pour qu’il n’y ait pas de buée. »
La buée était l’ennemie des flics, elle attirait l’attention sur les véhicules de planque. Nicolas Imbert obéit. Il obéissait à tout ce que lui disait le lieutenant Valparisis qui n’était pas né pour être contrarié, avec son mètre quatre-vingt-dix nerveux.
Lâchant son objectif, il fixa un instant son jeune collègue :
« Dis-moi, Nico, tu braques des bij’1 ? T’as un vrai caleçon de fraqueur… Pardi, c’est de la soie, ton truc ?
— C’était mon anniversaire. Un cadeau…
« Tu crois qu’ils vont venir, Marc ?
— Daoud est le tonton le plus fiable de la place de Paris et Sess le fils de pute le plus accompli d’Aubervilliers… Deux valeurs sûres… Ce sont des horloges, ces mecs. Trop déréglées pour être à l’heure, mais des horloges, t’inquiète, Nico. »
Marc Valparisis avait répondu sans quitter des yeux l’entrée du bar d’angle. À croire que son interlocuteur n’existait plus. Assis depuis deux heures dans un Trafic blanc aux glaces sans tain, leur cuve, il faisait de son paquet de cigarettes une compression à la César.