Premier volume des "aventures d'Elise Andrioli", jeune femme devenue tétraplégique, aveugle et muette suite à un attentat en Irlande du Nord,
la Mort des bois reprend les thèmes chers à Brigitte Aubert : mutilations, prélèvements d''organes, charcutages divers... Dans cet ouvrage, une petite fille confie à Elise (qui heureusement n'est pas sourde!) des meurtres d''enfants que commet "
la Mort des bois" dans la région. Tout le suspens naît de l'impossibilité où est le personnage de communiquer aux autres, de voir les masques dont ils se parent et bien sûr de se défendre contre toute agression. Son humour inoxydable,
"(J'arrête enfin de pleurer et je renifle copieusement. Yvette me mouche et remouche, j'use bien trois kleenex. Et pendant ce temps-là, l'assassin court toujours.)" (166)
et son énergie vitale,
"(Même si la vie est moche, triste, cruelle et injuste, je préfère la vivre.) (169)"
s'intercalent agréablement pour relancer la machine de ce polar de faux-semblants. Pourtant, dans l'attentat qui lui coûta sa mobilité, sa vue et sa voix, Elise aurait tous les prétextes au découragement et à l'apitoiement, et c'est pour ça qu'elle reste assez lucide devant le malheur des autres :
"Ça a été dur pour moi, quand j'ai compris ma situation, de ne pas pouvoir crier, hurler, pleurer, me griffer les joues, m'arracher les cheveux ou taper dans les meubles, dur de ne pas pouvoir m'épuiser, me saouler de tristesse, dur d'être seule, enfermée là-dedans avec un cerveau qui aligne inexorablement des pensées, des images, des mots et qui ne s'arrête jamais. " (145)
Tout n'est qu'apparence, tout ce qu'elle entend, tout ce qu'on lui confie -pratique car elle ne peut le répéter- met en route ce cerveau intact qui tourne à plein régime, tel un Holmes dans le noir. de plus chaque émotion, agression de l'assassin pervers, qui rôde dans son entourage, qui sait qu'elle est au courant, provoque chez Elise, un progrès dans sa mobilité. L'index bouge puis la main toute entière, la communication devient alors possible, mais comment dire qu'elle pourrait écrire?
"En tout cas, comme thérapeutique, la terreur, c'est efficace! Si à chaque tentative de meurtre je récupère l'usage d'un membre, je vais demander qu'on me balade la nuit dans les coins malfamés." (179)
Elise, dans son handicap, allégorise assez bien le polar où un indice (mot proche d'index) implique toute une série d'évènements possibles, communicables par l'écriture qu'Elise désire tant, ultime moyen de tout dévoiler. La main qui bouge n'est-elle pas déjà un large panel d'indices sur lesquels le lecteur doit compter. Ainsi les "films" qu'elle se fait dans sa tête - elle était auparavant gérante de cinéma - constituent à eux seuls un "roman dans le roman" commenté en direct par son auteure qui imagine les ramifications possibles entre les personnages. Cela va du délire pur et simple jusqu'à la démonstration solide. Comme une aveugle, une enquête procède aussi par tâtonnements.
Plus discutable, à mon sens, est la démonstration finale d'un personnage "qui explique tout", un peu comme dans
Agatha Christie, car la narration prend quelques pages un peu pénibles à lire même s''il se sent informé, le lecteur bâille un peu.
Mais c'est le seul écueil, à mon avis de ce roman d'une grande maîtrise dans lequel on s'attache beaucoup au personnage principal tant son énergie est communicative, justement. On la retrouve par la suite dans "
La Mort des neiges."