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Citations sur Personne (63)

J’ai vu mon père ainsi, dénudé, détrôné, tombé, mon père devenu rien et rien que rien, mon père vidé de l’abcès d’être quelqu’un.
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Mon père avait le goût de la blague, des plaisanteries idiotes, des jeux de mots. Il n’aimait pas la tragédie. Il avait aussi un talent véritable pour l’imitation : il contre-faisait à merveille tous les accents, et les cris d’animaux. J’en déduis qu’il me faisait rire quand j’étais enfant. Je le revois, déjà très malade, jouant avec ma fille encore bébé et riant avec elle du même rire, sans effort, sans distance, sans ce côté contraint et penché des adultes qui font l’enfant, comme si elle réveillait en lui une part, très vivante et très désirée, d’hébétude, de désordre, de cocasserie. Il avait le goût des gaffes.
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J’ai eu un père. Ce père n’était ni un héros, quoique sa vie entière il ait combattu l’ombre en lui, ni un homme ordinaire. Mais il m’a légué un monde héroïque, un monde infini et labile, opaque et foisonnant, plein de chausse-trapes et de coulisses, de bas-côtés et de lignes de fuite, de monstres, aussi, et de spectres plus ou moins arrangeants, et avec ce monde le désir de l’arpenter et de le dire.
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Personne ne nommait sa maladie. Et même devenue adulte, alors que les livres que je lisais, les gens que je fréquentais, auraient pu me l’apprendre, je n’ai jamais cherché ce nom. Autour de moi on disait seulement « ton père ne va pas bien en ce moment ». Et avec ma sœur, alors que nous parlions sans cesse de lui, échangeant de ses nouvelles, nous racontant ses derniers appels, nous en restions là aussi : « Papa va bien, ou plutôt bien, ou pas bien du tout, en ce moment. » Je ne sais pas quand je me suis dit pour la première fois « mon père est fou », quand j’ai adopté ce mot de folie, ce mot emphatique, vague, inquiétant et légèrement exaltant, qui ne nommait rien, en fait, rien d’autre que mon angoisse, cette terreur infantile, cette panique où je basculais avec lui et que toute ma vie d’adulte s’employait à recouvrir, un appel de lui et tout cela, le jardin, le soir d’été, la mer proche, volait en éclats, me laissant seule avec lui dans ce monde morcelé et muet qui était peut-être le réel même...
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Peu de temps après sa mort et alors que, déjà, je savais que j’écrirais sur lui (ce livre devait être de toute façon, mais tant qu’il était vivant, ç’aurait été un livre noir, plein d’aveux et de violences), il m’est apparu en rêve, dans l’un de ces rêves si denses, si précis et si francs qu’ils sont l’irruption d’une présence. Il était assis, massif, grave, apaisé, à la barre du vieux voilier qu’il ancrait jadis dans la baie d’Arcachon et, sans me quitter des yeux, sur la mer calme et comme fondue au ciel à force de clarté, il s’éloignait. Ce rêve, je l’ai revu après sous les vers de Michaux — « Emportez-moi dans une caravelle, /Dans une vieille et douce caravelle, /Dans l’étrave, ou si l’on veut, dans l’écume, /Et perdez-moi, au loin, au loin ».
On ne perd pas un père, encore moins un père qui était, ou qui s’était, lui-même perdu. C’est de son vivant, peut-être, qu’on l’avait perdu, qu’on ne savait plus qui il était, où il était. À présent qu’il est mort, on réunit ce qu’il a laissé, miettes et cailloux semés dans les forêts de son angoisse, trésors et épaves, on construit le vide, on sculpte l’absence, on cherche une forme pour ce qui, en nous, demeure de lui, et qui a toujours été la tentation de l’informe, la menace du chaos, on cherche des mots pour ce qui, toujours, a été en nous la part secrète, la part muette, un corps de mots pour celui qui n’a pas de tombe, un château de présence pour protéger son absence.
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On raconte, je ne sais plus où, cette histoire du Golem qui, parce que chaque matin il oubliait où étaient ses vêtements, décide un soir de noter leur emplacement. Au réveil, il parvient enfin à remettre la main sur chacun, passe pantalon, veste et chapeau, mais soudain il s’aperçoit qu’il lui manque encore quelque chose : moi-même, se demande-t-il soudain, où me suis-je laissé, où suis-je donc ? Voilà, je crois, ce que faisait mon père chaque matin : il attrapait cigarette, stylo et cahier, et il se demandait où il s’était laissé. Il tendait la main, saisissait des défroques, des costumes rapiécés, des manteaux d’Arlequin. Sur la page blanche surgissaient les masques de sa scène intérieure, un peuple nombreux, bariolé, titubant, le Fils prodigue et l’Amoureux éconduit, le Clown et le Pirate, le Flic et le Truand, le Moine et le Débauché, le Bourgeois et le Clochard, le Sage et le Fou. Mais lui, dans tout cela, il n’y était pas. Parfois aussi il tentait un portrait, il énumérait ses qualités, nom prénom date de naissance profession signes particuliers, puis il s’arrêtait net, comme s’il n’y croyait pas : lui-même, où s’était-il laissé, où était-il donc ?
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Mon père n’était pas un grand poète et c’est tout. Il n’a pas inscrit sa souffrance en beauté et en puissance, sa folie en génie, inventé une langue de sacres et de massacres. J’ai lu quelques-uns de ces cahiers, je les ai oubliés. Tout ce que je sais, c’est que chaque jour de sa vie ou presque, il a écrit. Chaque matin, chaque soir, il s’est assis à son bureau, il a allumé une Pall Mall ou une Craven A, dont la cendre troue les feuillets, et il a tenté de recomposer sa vie. Pas de récits, sinon de rêves, mais des comptes, des bilans, des listes de choses à faire ( « Téléphoner aux filles, payer loyer, tenir jusqu’à demain », et le lendemain il raye et en marge il écrit « FAIT »), et surtout, sans cesse recommencés, des schémas : lignes droites partagées en segments, segments de bonheur, segments de malheur, segments avec et sans alcool, avec et sans hospitalisation, fléchés de dates et de noms propres, puis, à mesure, de moins en moins de lignes droites mais des séries de triangles inversés, gouffres et sommets, crêtes et failles qui dessinent, sur le papier quadrillé, la carte de sa mélancolie. De la vie de mon père, je conserve le relief intérieur, le relevé sismographique. Pas plus que lui je ne saurais (ni ne voudrais) la raconter, parcourir ces noms, ces dates qui composent l’histoire à l’ombre de laquelle j’ai grandi. Je peux en suivre du doigt la géographie accidentée, la géométrie inexacte. Je sais qu’elles dessinent la part d’ombre, le négatif de ma vie. Qu’aux failles correspondent ses absences et que, même à distance, j’y étais avec lui engouffrée. Pas plus que lui, je ne sais qui il était. Tout ce que je sais, c’est que, chaque matin, chaque soir, quand il ouvrait ses cahiers, c’était cela qu’il cherchait. Ces lignes innombrables, ces caractères élégants, réguliers, même dans les pires moments, tissent le filet où il cherchait à s’attraper, tendent la toile dont il était le centre absent. C’était cela qu’il cherchait, se saisir, s’attraper, se mettre la main au collet.
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J'avais envie que [mes oncles et mes cousins] m'emmènent avec eux dans leur grande maison blanche sur la plage, je n'avais pas encore appris à habiter la marge, pas encore lu les livres, trouvé les mots qui me conduiraient ailleurs, là où [la folie de mon père] m'apparaîtrait plus clairvoyante que leur santé, là où le grand éclat des enfants bénis ne m'aveuglerait pas plus que les caves des réprouvés.
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On cherche des mots pour ce qui, toujours, a été en nous la part secrète, la part muette, un corps de mots pour celui qui n’a pas de tombe, un château de présence pour protéger son absence.
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Il faut accepter sa fragilité.Hélas les idées pirates du passé reviennent parfois à l'improviste.
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