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Citations sur Personne (63)

J’ai eu un père. Ce père n’était ni un héros, quoi que sa vie entière il ait combattu l’ombre en lui, ni un homme ordinaire. Mais il m’a légué un monde héroïque, un monde infini et labile, opaque et foisonnant, plein de chausse-trapes et de coulisses, de bas-côtés et de lignes de fuite, de monstres, aussi, et de spectres plus ou moins arrangeants, et avec ce monde le désir de l’arpenter et de le dire.
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Personne ne nommait sa maladie. Et même devenue adulte, alors que les livres que je lisais, les gens que je fréquentais, auraient pu me l’apprendre, je n’ai jamais cherché ce nom. Autour de moi on disait seulement « ton père ne va pas bien en ce moment ».
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Il n'a pu taire ses convictions personnelles, puisqu'il est impossible "aux écrivains de cacher leur Moi derrière la plume".
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Il y a certainement eu en elle des choses qui m'ont totalement échappé.... car je ne les cherchais pas.
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On raconte, je ne sais plus où, cette histoire du Golem qui, parce que chaque matin il oubliait où était ses vêtements, décide un soir de noter leur emplacement. Au réveil, il parvient enfin à remettre la main sur chacun, passe pantalon, veste et chapeau, mais soudain il s’aperçoit qu’il lui manque encore quelque chose : moi-même, se demande-t-il soudain, où me suis-je laissé, où suis-je donc ? Voilà, je crois, ce que faisait mon père chaque matin : il attrapait cigarette, stylo et cahier, et il se demandait où il s’était laissé. Il tendait la main, saisissait des défroques, des costumes rapiécés, des manteaux d’Arlequin. Sur la page blanche surgissaient les masques de sa scène intérieure, un peuple nombreux, bariolé, titubant, le Fils prodigue et l’Amoureux éconduit, le Clown et le Pirate, le Flic et le Truand, le Moine et le Débauché, le Bourgeois et le Clochard, le Sage et le Fou. Mais lui dans tout cela, il n’y était pas. Parfois aussi il tentait un portrait, il énumérait ses qualités, nom prénom date de naissance signes particuliers, puis il s’arrêtait net, comme s’il n’y croyait pas : lui-même, où s’était-il laissé, où était-il donc ?
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J'ai porté pour différer sa mort, ce portrait en vingt-six angles et au moi échappé, mon père n'était pas comme les autres, il était les autres, il ne voulait pas s'en faire aimer, tous l'habitaient simultanément....
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Le 10 décembre 1945, au lendemain de la lettre d’Artaud à Henri Parisot, mon père naissait. J’ignore de quand date sa première hospitalisation. J’aurais pu en retrouver trace, peut-être, dans l’un de ses carnets : agendas de cuir noir, cahiers d’écolier, « livres de brouillon », blocs à en-tête d’hôtels, feuilles volantes, notes griffonnées au revers d’un cours, de quoi remplir des cartons entiers. On pourrait sur certains apposer les noms des hôpitaux et des maisons de santé où il a séjourné – Cahiers de la Roseraie, Cahiers de la Verrière, Cahiers d’Épinay… Mon père n’était pas un grand poète et c’est tout. Il n’a pas inscrit sa souffrance en beauté et en puissance, sa folie en génie, inventé une langue de sacres et de massacres. j’ai lu quelques-uns de ces cahiers, je les ai oubliés. Tout ce que je sais, c’est que chaque jour de sa vie ou presque, il a écrit. Chaque matin, chaque soir, il s’est assis à son bureau, il a allumé une Pall Mall ou une Craven A, dont la cendre troue les feuillets, et il a tenté de recomposer sa vie. Pas de récits, sinon de rêves, mais des comptes, des bilans, des listes de choses à faire (« Téléphoner aux filles, payer loyer, tenir jusqu’à demain », et le lendemain il raye et en marge il écrit « FAIT »), et surtout, sans cesse recommencés, des schémas : lignes droites partagées en segments, segments de bonheur, segments de malheur, segments avec et sans alcool, avec et sans hospitalisation, fléchés de dates et de noms propres, puis, à mesure, de moins en moins de lignes droites mais des séries de triangles inversés, gouffres et sommets, crêtes et failles qui dessinent, sur le papier quadrillé, la carte de sa mélancolie. De la vie de mon père, je conserve le relief intérieur, le relevé sismographique. Pas plus que lui je ne saurais (ni ne voudrais) la raconter, parcourir ces noms, ces dates qui composent l’histoire à l’ombre de laquelle j’ai grandi. Je peux en suivre du doigt la géographie accidentée, la géographie inexacte. Je sais qu’elles dessinent la part d’ombre, le négatif de ma vie. Qu’aux failles correspondent ses absences et que, même à distance, j’y étais avec lui engouffrée. Pas plus que lui, je ne sais qui il était. Tout ce que je sais, c’est que, chaque matin, chaque soir, quand il ouvrait ses cahiers, c’était cela qu’il cherchait. Ces lignes innombrables, ces caractères élégants, réguliers, même dans les pires moments, tissent le filet où il cherchait à s’attraper, tendent la toile dont il était le centre absent. C’était cela qu’il cherchait, se saisir, s’attraper, se mettre la main au collet.
On raconte, je ne sais plus où, cette histoire du Golem qui, parce que chaque matin il oubliait où étaient ses vêtements, décide un soir de noter leur emplacement. Au réveil, il parvient enfin à remettre la main sur chacun, passe pantalon, veste et chapeau, mais soudain il s’aperçoit qu’il lui manque encore quelque chose : moi-même, se demande-t-il soudain, où me suis-je laissé, où suis-je donc ? Voilà, je crois, ce que faisait mon père chaque matin : il attrapait cigarette, stylo et cahier, et il se demandait où il s’était laissé. Il tendait la main, saisissait des défroques, des costumes rapiécés, des manteaux d’Arlequin. Sur la page blanche surgissaient les masques de sa scène intérieure, un peuple nombreux, bariolé, titubant, le Fils prodigue et l’Amoureux éconduit, le Clown et le Pirate, le Flic et le Truand, le Moine et le Débauché, le Bourgeois et le Clochard, le Sage et le Fou. Mais lui, dans tout cela, il n’y était pas. Parfois aussi il tentait un portrait, il énumérait ses qualités, nom prénom date de naissance profession signes particuliers, puis il s’arrêtait net, comme s’il n’y croyait pas : lui-même, où s’était-il laissé, où était-il donc ?
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L’homme qui veut éviter les souffrances du monde va, chez les Anciens, « s’aliéner » (sic) par rapport à lui-même : fuite des affaires du monde, et surtout refuge dans la citadelle intérieure où le moi n’est exposé qu’à soi-même. Ce n’est rien d’autre que ce que j’ai vécu, la plongée en moi-même et le refuge psychotique. C’était, avec le recul, comme une abjuration folle de la vie sur terre.
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Ce qu’il écrit là, ce que j’ai compris ce dimanche après-midi, je m’en doutais, bien sûr, parce qu’avec lui j’avais toujours peur du pire et que c’est l’une des formes qu’il revêt. Ma vie, à cette époque, était à demi hantée par ce que je soupçonnais de la sienne sans vouloir le vérifier. Transcrivant ses mots, croisant nos chronologies, je retrouve à la fois ma mémoire et la sienne, et cette contagion silencieuse qui me liait à lui, baignée dans son malheur, portée dans le malheur de mon père comme l’enfant dans le ventre de sa mère, rusant avec lui, pourtant, comme avec la corne du taureau, sans cesse l’approchant pour mieux l’esquiver, absorbant tout ce qui malgré tout s’infiltrait d’air, de vie et de lumière, et c’est comme si, lisant ses mots, je comprenais soudain que, quand bien même, peut-être, je serais née de lui, ce malheur était sien.
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Avoir : il m’en faut peu. Être : je dois pouvoir le redevenir pleinement, mais différemment sans doute. Je ne peux que m’en faire promesse.
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