Pour titre de son dernier essai, récompensé par le prix Renaudot de l'essai 2017,
Justine Augier a choisi le plus juste des mots : l'ardeur, cet alliage de feu et de force qui fait tenir les êtres debout. Mais il n'y est pas question d'abstraction, « l'ardeur » résume ici l'engagement d'une femme : celui de Razan Zaitouneh, avocate spécialisée dans les droits politiques et la défense des droits de l'homme dans son pays, la Syrie. Récit puissant et brûlant d'actualité,
de l'ardeur nous plonge dans une terre et le conflit qui la déchire, ce conflit dont presque personne ne parle vraiment, face auquel presque personne ne réagit vraiment.
Razan Zaitouneh s'engage dans la lutte contre le régime dans les années 2000 et devient une des figures de la révolution syrienne pendant les premières manifestations du 15 mars 2011. La grande effusion des printemps arabes qui s'est emparée tour à tour de l'Égypte, de la Tunisie et de la Lybie fait s'embraser la Syrie. « le peuple veut la chute du régime » entend-on dans les rues, pouvoir enfin renverser Bachar Al-Assad, beaucoup l'espère, Razan peut-être plus que tous. Malgré l'importance des rassemblements populaires, les rêves des manifestants se voient rapidement détruits : le soulèvement est brutalement réprimé par le régime et depuis lors, Bachar Al-Assad mène une guerre d'une violence sans nom contre son propre peuple.
Devant l'horreur, Razan écrit rapport sur rapport ainsi que de très nombreux articles répertoriant les violations des droits de l'homme commises par le régime. Forcée de vivre dans la clandestinité, elle fait le choix de refuser la sécurité en restant dans son pays malgré les menaces de mort. le 9 décembre 2013, Razan, son mari Waël, ainsi que leurs deux amis Samira et Nazem, dissidents également, sont enlevés dans d'obscures circonstances à Douma, non loin de Damas.
Portée disparue depuis ce jour, Razan ne semblait pas se prêter facilement à l'écriture d'un récit biographique : à sa disparition s'ajoute en effet un manque cruel d'informations sur sa vie et son activité. Pourtant, grâce à son enquête croisant témoignages, récit de faits et extraits d'interviews que cet essai-documentaire retrace,
Justine Augier parvient à nous la rendre visible, vivante. C'est que l'importance vitale de l'engagement chez Razan, dont « le sentiment d'injustice ne s'use pas », trouve un écho très puissant chez l'auteure. Tout au long du récit, son obsession l'amène au fur et à mesure à se questionner sur ses propres engagements, au risque de se perdre. On ne sait parfois pas vraiment où se dresse la limite entre réel et fantasme mais puisque l'auteure compose avec les ombres, on comprend que le flou autour de Razan soit inévitable.
Il s'agit surtout de reconstituer la force qui se dégage d'elle, de la comprendre. Des questions émergent alors au fil du récit : de quelle matière est-elle constituée, cette femme discrète qui ne cesse de répertorier les exactions du régime ? Elle qui a vu s'écrouler l'espoir en une révolution victorieuse et la communauté internationale lui tourner le dos ? Pourquoi mener cet énorme travail de documentation des atrocités commises quand le monde vous isole ? La réponse de Razan est simple, limpide : Afin que justice soit rendue, plus tard, à l'issue du conflit. Afin de lutter contre l'oubli, que le régime – avec son slogan « Bachar Al-Assad pour l'éternité » – érige en règle pour empêcher le peuple de s'approprier son histoire.
Razan est entièrement dévouée à la compréhension de son pays et de sa société, les secousses qui ébranlent la région la traverse, l'ardeur est là, dans la sincérité. Et dans la foi en la révolution, en une Syrie un jour débarrassée de Bachar al Assad, de son régime de la terreur et du crime institutionnalisé. Avec l'enquête de
Justine Augier, c'est la Syrie actuelle qui se dessine en même temps que la silhouette de l'absente, cette Syrie en ruines, où la guerre trace des méandres épais à laquelle l'avocate est liée, intrinsèquement et sans compromis.
Brûlant et nécessaire, ce récit l'est sans aucun doute puisqu'il permet la prise de conscience. Razan nous montre que face à l'horreur ne vaut qu'une seule solution : l'ardeur de l'engagement, celle qui tient debout. Comme elle, nous devons tâcher de comprendre les atrocités pour lutter et défendre une certaine idée de la justice. Avec désormais un peu de ses convictions, de ses idéaux et de sa force à l'esprit.
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