On dit qu’un homme deviendrait fou s’il ne pouvait rêver la nuit. De même, si on ne permet pas à un enfant de pénétrer dans l’imaginaire, il ne pourra jamais affronter le réel. Les contes répondent dans l’enfance à un besoin aussi fondamental que la nourriture, et qui se manifeste de la même façon que la faim. Raconte-moi une histoire, demande l’enfant. Raconte-moi une histoire.
Il se souvient que les vêtements de son père étaient rangés dans l'armoire de sa chambre et qu'il était réveillé le matin par le cliquetis des cintres. Il revoit son père qui lui dit, tout en nouant sa cravate : Lève-toi et brille, petit homme.
Errer de par le monde, c’est donc aussi errer en nous-mêmes. Ce qui revient à dire qu’aussitôt entrés dans le champ de la mémoire, nous pénétrons dans l’univers.
Le Livre de la mémoire. Livre douze.
Solstice d'hiver : la période la plus sombre de l'année. A peine éveillé le matin, il sent que déjà le jour commence à lui échapper. Il n'a pas une lumière où s'engager, aucun sens du temps qui passe. (...) Une saison hermétique, un long repliement sur soi-même. Le monde extérieur, le monde tangible de la matière et des corps, semble n'être plus qu'une émanation de son esprit. Il se sent glisser à travers les événements, rôder comme un fantôme autour de sa propre présence, comme s'il vivait quelque part à côté de lui-même - pas réellement ici, mais pas ailleurs non plus.
Pendant quinze ans il avait vécu seul. Obstinément, obscurément, comme si le monde ne pouvait l'affecter. Il n'avait pas l'air d'un homme occupant l'espace mais plutôt d'un bloc d'espace impénétrable ayant forme humaine. Le monde rebondissait sur lui, se brisait contre lui, par moment adhérait à lui, mais ne l'avait jamais pénétré. Pendant quinze ans, tout seul, il avait hanté une maison immense, et c'est dans cette maison qu'il était mort.
Imaginer une solitude si écrasante, si inconsolable que pendant des centaines d'années on ne puisse plus respirer
Si l'on n'envisage l'existence qu'en termes d'argent, on finit par la perdre de vue complètement.
Le téléphone a sonné. Je l’ai su aussitôt : quelque chose n’allait pas. Personne n’appelle un dimanche à huit heures du matin sinon pour annoncer une nouvelle qui ne peut attendre. Et une nouvelle qui ne peut attendre est toujours mauvaise.
Portrait d'un homme invisible.
Tout livre est l'image d'une solitude. C'est un objet tangible, qu'on peut ramasser, déposer, ouvrir et fermer, et les mots qui le composent représentent plusieurs mois, sinon plusieurs années de la solitude d'un homme, de sorte qu'à chaque mot lu dans un livre on peut se dire confronté à une particule de cette solitude.
Il trouve extraordinaire, même dans l'ordinaire de sa vie quotidienne, de sentir le sol sous ses pieds, et le mouvement de ses poumons qui s'enflent et se contractent à chaque respiration, de savoir qu'il peut, en posant un pied devant l'autre, marcher de là où il est à l'endroit où il veut aller. Il trouve extraordinaire que, certains matins, juste après son réveil, quand il se penche pour lacer ses chaussures, un flot de bonheur l'envahisse, un bonheur si intense, si naturellement en harmonie avec l'univers qu'il prend conscience d'être vivant dans le présent, ce présent qui l'entoure et le pénètre, qui l'envahit soudain, le submerge de la conscience d'être vivant. Et le bonheur qu'il découvre en lui à cet instant est extraordinaire. Et qu'il le soit ou non, il trouve ce bonheur extraordinaire.