J'ai réuni sous ce titre neuf nouvelles très résolument réalistes. La première, par exemple, est l'histoire d'un romancier réaliste qui prend ses personnages dans une réalité si drue, qu'ils s'animent d'une vie réelle, matérielle, et, retirant à l'auteur son libre arbitre, imposent à son oeuvre les exigences de la réalité vécue. Je ne crois pas qu'on ait encore écrit sur un thème aussi réaliste.
Dans les nouvelles suivantes, le dessein réaliste apparaît parfois moins ferme. On contestera qu'un homme puisse n'exister qu'un jour sur deux et qu'une même personne puisse habiter simultanément deux corps et on aura bien raison. Mais qu'on ne s'y trompe pas. C'est justement dans ces apparentes défaillances de la vraisemblance que mon réalisme se montre le plus vigilant, car il ne fait (en réalité) qu'emprunter une forme rigoureusement et sévèrement mathématique...
(extrait de la préface signée Marcel Aymé)
Est-ce que je sais, moi, si les fous sont mortels à toutes heures du jour et de la nuit? Qui me le dira jamais? Ils ont peut-être des moments pendant lesquels ils sont invulnérables. Peut-être même le sont-ils toujours et ne meurent-ils que dans un éclair de lucidité?
Un romancier honnête est comme le bon Dieu, il n'a pas grand pouvoir. Ses personnages sont libres, il ne peut que souffrir de leurs misères et regretter que leurs prières soient inutiles. Simplement, il a sur eux droit de vie et de mort et, dans le domaine de l'accidentel, où le destin lui laisse parfois une petite marge, il peut aussi leur accorder de modestes consolations. Pas plus qu'à Dieu, il ne nous est permis de nous raviser. Le départ commande tout, et la flèche une fois lancée, il ne faut plus penser à la rattraper...