« Martin » est le nom de famille le plus répandu dans l'hexagone, bien avant Dupont (ou Dupond) et Durand (ou Durant). Peut-être est-ce pour cette raison que
Marcel Aymé en a fait son personnage principal, et multiple en même temps, de ce recueil singulièrement particulier, et pourquoi ne pas l'avouer, particulièrement singulier :
« Les critiques superstitieux ou simplement attentifs aux coïncidences remarqueront peut-être que dans ces nouvelles, la plupart des héros s'appellent Martin. Les titres devenant plus rares d'année en année, j'en ai profité pour appeler mon livre «
Derrière chez Martin », quoique j'eusse pu aussi bien l'appeler « Devant chez Martin » ou « A côté de … » ou « Au-dessus-de … » ou simplement « Martin » ou encore « Les aventures de Martin, Les Métamorphoses de Martin, Les Trente-six visages de Martin, Les Travaux de Martin, Confidences de Martin, Heurs de Martin … » Je me sens plein de regret » …
Les neuf nouvelles qui composent ce recueil sont presque toutes consacrées à un personnage nommé Martin. Mais le patronyme est le seul lien qui soit commun à ces personnages, tous différents :
« le romancier Martin » se voit un jour dépassé par ses personnages
« Je suis renvoyé » : Aberdame Martin est viré de la banque où il travaille
« L'élève Martin » : est-ce bien lui l'auteur des graffitis infâmes ?
« le Temps mort » : Martin ne vit qu'un jour sur deux. Forcément ça cause des problèmes…
« le cocu nombreux » : Pas de Martin dans cette histoire, mais un cocu multiple.
« L'Ame de Martin » : Après avoir tué sa femme et ses beaux-parents, Martin perd son âme, par la faute d'une diablerie des plus … diaboliques
« Rue de l'Evangile » : quand un pauvre arabe, Abd-El-Martin, traîne sa misère la rue de l'Evangile
« Conte de Noël » : l'adjudant Constantin se transforme en père Noël pour ses trouffions préférés
« La statue » : on élève une statue posthume à l'inventeur Martin… qui n'est pas mort !
Au total neuf contes, bien différents les uns des autres, mais qui ont en commun ce qui fait l'ADN de
Marcel Aymé, ce mélange de réalisme, de poésie et de fantastique du quotidien qui n'appartient qu'à lui : Devant l'incongruité des situations, on devrait être surpris, agacé, peut-être même choqué…. Pas du tout, quand c'est
Marcel Aymé qui le raconte, ça coule de source, ça n'étonne personne, il y a une normalité dans l'anormalité.
C'est sans doute dans ses nouvelles que
Marcel Aymé est le plus efficace. Ici, il n'y a pas encore la verve sarcastique, féroce et jubilatoire qu'il affichera pendant les années de guerre et d'après-guerre. Il y a cependant un regard très ironique sur ses contemporains, parfois même sévère, mais constamment tempéré par cette fantaisie poétique qui est sa marque de fabrique.