Elle trouve toujours un vers qui épouse le contour de ses humeurs, la colère, la déréliction, la catatonie... Racine, c'est le supermarché du chagrin d'amour ...
Il y a Titus et, en face, il y a Bérenice , sur les bords opposés. Titus ne peut pas quitter Roma. Si bien que Bérénice est obligée de faire l'article de son amour, sa réclame. Dans son pauvre boniment, elle plaide pêle-mêle pour la primauté du désir, la capacité des enfants à pardonner, l'insignifiance d'un patrimoine.
Mon âme loin de vous languira solitaire. (Racine)
Elle se revoit face à Titus (. . . ). C'était le miracle de l'amour, jet de lumière dans la nuit venant se poser à l'endroit précis où se joignent deux bouches pour la première fois.
Telle une cire fondue, le cœur de Jean coule entre ses côtes.
Titus mangé goulûment. Il a une faim proportionnelle à l'énergie que lui demande ce moment. Bérénice ne touche pas à son plat. Elle reste immobile, le regard fixé sur son assiette. Puis elle pleure. Il la prend dans ses bras. Elle veut s'en aller, il la retient. Quel monstre suis-je? dit Titus en essuyant une dernière fois les pleurs de celle qu'il a tant aimée, mais sa décision ne change pas. Titus aime Bérénice et la quitte.
Le roi s'interrompt, compte sur ses doigts en répétant chaque syllabe de sa phrase.
Quand on dort de l'une de vos pièces, immanquablement, on est sous alexandrins, dit-il.
Jean sourit. Le roi ajouté que pendant les spectacles, les silhouettes de ses courtisans se découpent comme des ombres chinoises assises tout autour de lui. Il profite autant de ce qui se passe en scène que dans ces rangs dociles. Au moins, là, et pendant deux heures, personne.a la cour ne bouge ni n'intrigue. Jean hoche la tête et comprend que, même pendant qu'on joue ses vers, l'attention du roi est toujours distraite par le fait d'être roi.
(...) Il marche autour de l'étang ou s'assoit sur la rive. Il lit, relit, module différemment. Les phrases sont simples, sans galanterie, mais elles tonnent, font gronder des orages dans sa tête, des ciels zébrés par la violence des hommes et des dieux. Sans parler de la rage des femmes. Pour Jean qui ne connait d'elles que leur teint blanc, leurs douces bénédictions et leur corps enfoui sous la serge, Electre, Antigone ou Jocaste semblent plus violentes encore que la reine Didon. Elles lui font changer de climat, de latitude et d'espèce. Dans ce nouveau monde, même les arbres pourraient se mettre à hurler.
On dit qu'il faut un an pour se remettre d'un chagrin d'amour. On dit aussi des tas d'autres choses dont la banalité finit par émousser la vérité.
Racine peut aussi susciter la fatuité.