Je vous la fais courte (c'est, finalement, pour agréer la demande de Krout, cf. sa critique, de plus cette oeuvre a déjà été superbement commentée).
C'est l'histoire d'une meuf, la narratrice, emplie de ressentiment à l'endroit d'un homme qui n'a pas, au cours des deux années de leur histoire, su convoquer le courage d'abandonner son contexte familial pour aller au bout d'une logique affective.
C'est une histoire répétée chaque nuit dans le poste, chez Caroline Dublanche sur RTL, lorsque la culpabilité fait faire plus de choses que
l'amour, de ces choses indécises et d'entre-deux que l'on rencontre aussi dans le théâtre d'
Anouilh, les histoires de
Marguerite Duras et qui conduisent l'homme irrésolu à attraper la maladie de
l'amour ou plutôt celle de la mort. (Titus non plus ne survivra pas longtemps à son renoncement - et pas davantage l'homme irrésolu -).
Elia Kazan (l'Arrangement),
Moravia (
le Mépris) ont aussi implacablement écrit sur la lâcheté des mâles qui, au bout de l'attente n'induit plus précisément que
le mépris de l'autre, avant l'affreuse indifférence.
Il y a du Titus dans chaque homme et forcément des Bérénice qui, à bout de bras, portent un amour plein d'atermoiements et qui un jour, sur le chemin de leur Palestine, de lutte lasses, par-dessus le parapet d'un pont (c'est un rêve récurrent chez elles) jettent ce fardeau sentimental.
L'idée magistrale de l'auteure est d'élaborer un parallélisme entre la renonciation d'état et une résignation domestique.
Pour éloigner le chagrin, la haine parfois, d'aucunes font du macramé, écrivent sur des réseaux sociaux ou appellent Caroline Dublanche ; la narratrice, invitée par Bérénice, s'investit dans la vie et l'oeuvre de Racine, qu'intimement, toujours elle nomme Jean. Comme disent de leurs mets les cuisiniers , elle raconte une histoire et revisite la vie de Racine à Port-Royal, Paris, Versailles près du roi. C'est sa thérapie.
Et c'est un beau travail d'écriture, classique, original, richement documenté.
"Selon les jours, le roi lui pose une question de latin ou de vocabulaire, lui demande une lecture, surtout, lorsque, souffrant, il ne quitte pas son lit. [...] cette promiscuité ne ternit rien, au contraire. L'admiration qu'on a pour les idoles, loin de retomber quand on les voit déglutir ou cracher, ne fait que s'emporter d'avantage et les élever plus haut, comme si elle relevaient de deux règnes différents, puisaient à deux métaphysiques, celles des hommes et celle des dieux, augmentaient leur mérite par cette ambivalence extraordinaire."
Et puis, cette ultime confidence de la narratrice :
"Que Titus n'a jamais aimé Bérénice ou qu'il l'a aimée, que vouloir comprendre ce qu'on appelle
l'amour, c'est vouloir attraper le vent. Au jeu de la marguerite, on pourrait arracher n'importe lequel des pétales, à la folie, passionnément, pas du tout. [..]
On dit qu'il faut un an pour se remettre d'un chagrin d'amour. On dit aussi des tas de choses dont la banalité finit par émousser la vérité."
Tout de même, Madame,
Une année dites-vous, c'est là bien peu de temps
Pour que de ces transports fuie le ressentiment.