J'ai mis du temps à me plonger dans cet essai qui finalement s'est révélé passionnant. Au cours des quasi 500 pages,
Elisabeth Badinter décrit l'histoire de la maternité. Par histoire de la maternité, s'entend l'histoire du rôle de mère.
Le livre débute avec le XVIIème et XVIIIème siècle où l'enfant n'est pas élevé par ses parents (élevé pendant les 5 première années par une nourrisse, il était ensuite éduqué par un précepteur ou une gouvernante avant de finir en pension vers ses 10 ans) et où le père est tout puissant au dessus de sa femme et de ses enfants. Celle-ci d'ailleurs a quasiment le même statut que ses enfants. L'époque est aussi marquée par une très forte mortalité infantile puisque près de 25% des enfants mis en nourrisse mourraient avant l'âge de 1 an.
C'est avec la révolution industrielle que tout va changer. C'est le moment où l'on prend conscience que la puissance d'un pays est directement liée à sa démographie. de ce fait, il faut arrêter cette hécatombe et assurer la survie des enfants qui sont de futurs ouvriers et soldats. Pour ce faire, la seule solution à l'époque est de confier l'éducation des enfants à leur mère. Cela se fera à coup d'argument économique, idéologique (Rousseau) et culpabilisant. En contre partie, la femme va prendre du pouvoir au sein de la maison au détriment du père qui ne sera progressivement relégué qu'à un simple rôle économique, gagner un salaire pour nourrir toute sa famille. Si rétrospectivement cette avancée semble une régression, elle a pourtant permis aux femmes de prendre du pouvoir puisqu'avant elles n'en avaient aucun, y compris sur leurs propres enfants. Durant 2 siècles, ce rôle va se renforcer et obliger les femmes à se dévouer corps et âme à leurs enfants, se voyant interdit l'accès à l'espace publique.
Ce n'est que très récemment (au moment de l'écriture du livre) que les femmes vont enfin réapparaitre dans l'espace public, travailler et exiger une plus juste répartition des tâches avec leur conjoint.
Tout au long de son argumentaire, elle va expliquer à quel point les injonctions d'abord de Rousseau puis de
Freud vont créer une injonction sociale et inventer un modèle de mère qui finalement n'est que le fruit de la société, une confusion entre l'acquis et l'inné. C'est très intéressant de comprendre comment nous en sommes arrivé là et à quel point ces injonctions et ce modèle sont toujours aussi présent dans notre inconscient collectif.
Petit bémol cependant, ce livre a déjà 40 ans et a été écrit environ 10 ans après la légalisation de la contraception qui n'est pas du tout prise en compte dans l'analyse. Elle décrit un frémissement de changement d'attitude et d'attente de la part des femmes vis-à-vis de leur conjoint. Une génération plus tard, on constate que ce frémissement est devenu une réalité et une revendication bien plus forte. Aujourd'hui on parle bien plus fort de partage des tâches, de charge mentale... On commence a parler du regret d'être mère et les pères n'ont plus honte de s'investir dans l'éducation de leurs enfants.
En bref, un livre très bien sourcé, très argumenté et qui montre du doigt les rouages et la propagandes qui ont enfermées les femmes dans un carcan de mère au détriment d'elles-mêmes.