Passion amour-haine entre David, un homme gay, noir, né et grandi environ dans les années cinquante aux États-Unis et Giovanni, un Italien installé dans une chambre miteuse à Paris. L'action se déroule principalement dans la Ville-Lumière, où le narrateur (David) est exilé pour pouvoir laisser libre cours à son orientation sexuelle loin du regard de son père et de sa fiancée, qui se trouve à ce moment-là en Espagne, seule, pour voyager. David fréquente les clubs gays avec son ami Jacques, un vieux riche qui représente tout ce qu'il ne veut pas devenir, envers qui il entretient du dégoût et du mépris. Bien qu'il fréquente les milieux homosexuels, il est complexé, incapable de s'assumer. Il semble chercher à se placer au-dessus des autres jusqu'à ce qu'il rencontre Giovanni, l'irrésistible serveur chez qui il ira passer la nuit et qui le fera « tomber ».
En quatrième de couverture, on qualifiait ce roman de « classique » en raison « de l'audace et de la sincérité » avec lesquelles l'auteur décrit le conflit, le déchirement du personnage principal entre son amour pour Giovanni et l'admiration sincère qu'il a pour sa fiancée.
Le terme « classique » ne me semble pas approprié, à moins qu'on ne catégorise ainsi les drames américains, dans lesquels les sentiments sont typiquement médiocres. En effet, il me semble que David, qui a intériorisé la voix de la société, et dont l'homosexualité le répugne du début à la fin, n'éprouve qu'une sorte d'affection coupable pour son Giovanni, sans vraiment parvenir à l'aimer. Il me semble qu'il ne fait que l'utiliser lâchement pour assouvir ses pulsions refoulées en attendant le retour de sa fiancée. Son affection pour son partenaire qui habite la chambre désordonnée n'a d'égale que son profond mépris pour cette vie, ce taudis. Il va même associer cette passion à la « puanteur ». J'ai l'impression que le fameux dilemme au coeur du récit ne se pose jamais, ni pour lui ni pour le lecteur. le roman s'ouvre sur l'échec, l'évènement de la mort de cet amant maudit à qui il aura seulement menti en lui laissant croire tout au long à la possibilité de leur union.
Cette chronologie inversée m'a fait lire pour élucider le mystère entourant les circonstances de la mort de Giovanni. Ainsi, j'avais plus l'impression d'être dans une intrigue policière que dans une romance. le ton est sombre et le lyrisme de ce drame cynique est suffocant. Heureusement, Baldwin a du talent, et ses pointes d'ironie sont placées aux bons endroits pour faire ce roman à l'image de son narrateur, c'est-à-dire à la fois noir et gai. (Ceci est un bon jeu de mots que vous me pardonnerez).
Finalement, c'est la passionnée d'études culturelles en moi surtout qui a su apprécier cette oeuvre. En effet, il est intéressant de voir à quel point le narrateur s'identifie d'abord à ses ancêtres idéalisés - dès la première scène, celle où il décrit son reflet dans le miroir : « mon visage ressemble à un visage que vous avez vu maintes fois (…) celui de mes ancêtres qui ont conquis (…) » - puis, toujours dans le même scène, il s'identifie, se fond dans la masse informe des gens civilisés qui voyagent dans le même train : « C'est complet ? Nous hocherons tous affirmativement la tête, comme des conspirateurs, et échangerons des sourires entendus (...) ».
Il y a là toute l'expression du poids de la société fermée, raciste et puritaine dans laquelle l'auteur a évolué. Malgré l'emploi de la première personne du singulier, David n'aura pas réussi à exister au complet dans son individualité, incapable d'assumer, même dans une chambre secrète, cachée, à l'abri des regards, son homosexualité.
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J'ai lu et adoré il y a quelque temps le bouquin Swimming in the dark de Thomas Jedrowski, et c'était l'énième oeuvre lgbt mentionnant Giovanni's room comme un must read majeur sur ce thème (un perso offre à l'autre ce livre dans l'histoire et cela lance leur relation). J'ai donc franchi le pas et décidé de me faire mon avis ! Verdict : c'est sombre. Dans le détail, on suit David, bi sévèrement refoulé, débarquer dans le Paris gay des années 50 pendant que sa partenaire explore l'Espagne. Il y rencontre donc Giovanni et sa "chambre" qui vient petit à petit représenter la prison intérieure de David, coincé entre devoir "jouer l'homme" avec sa copine si elle revient et se détester chaque jour un peu plus dans cette chambre. Giovanni's room est une fenêtre sur ce que l'homophobie intériorisée et la masculinité toxique sans aucun contrepoids ni refuge pouvaient créer chez les hommes gay à une époque. On ne croise dans ce récit aucune lumière, les personnages dans le cercle de David sont tous présentés comme brisés et/ou sales, et la sombre issue du récit est offerte dès les premières pages, comme un couperet dont il ne reste qu'à attendre qu'il tombe enfin. C'est donc un livre qu'il aura été difficile d'aimer à proprement parler, mais dont la qualité d'écriture et la faible longueur m'auront tout de même permis une plongée instructive dans une psyché étrangère, victime comme il en existe encore de plusieurs siècles de peur de la différence.
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Peu convaincu. L'intrigue ne va pas vraiment où que ce soit. La condamnation annoncée de Giovanni crée artificiellement un suspense dont le payoff regrette d'avoir attendu. Les personnages paraissent sommaires et incompréhensibles. le style des dialogues n'est ni naturel, ni joliment artificiel mais un entredeux façon (mauvais) mélodrame Golden Age. Les décisions du héros sont bien sûr à contextualiser et sa difficulté à accepter sa sexualité paraissait sans doute plus relatable à la parution (et jusqu'à il y a peu) mais les mensonges dans lesquels sa honte l'enfonce m'a empêché l'empathie. le peu d'alchimie entre le mutique héros et le draaaaamatique Giovanni, jamais expliquée par plus qu'une attirance physique, rend indifférent au tragique de leur relation. Aucun personnage ne semble capable de ne pas boire dès 10h du matin ? Et la fin [relatif spoiler] où il déchire l'enveloppe parait… fainéante.
Les rares moments où l'intrigue sort du plan serré du trio, comme le début au pseudo-Flore permettent de respirer.
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