Avons-nous avec cette nouvelle une énième illustration de l'essai
De Balzac sur la
Physiologie du mariage ? C'est ce que j'ai lu : il y a sans doute un peu de cela, mais c'est loin de se limiter à un banal exemple du comportement et des usages salutaires en couple.
En 1809, à l'apogée de l'Empire, nous dit l'auteur, nous assistons à un bal splendide dans l'hôtel particulier du comte de Gondreville, sénateur qui fête comme toute la bonne société le mariage à venir de Napoléon avec
Marie-Louise d'Autriche. Clinquant bienvenu, comme nous en prévient
Balzac, si bien que la bague de diamant au centre de ce drame vaudevillesque devient à elle seule un symbole de l'appétit de richesses, de la consommation de titres de noblesse de l'époque. Les personnages sont en place pour contredanse et quadrille, jeunes gens issus de la Garde napoléonienne ou de la magistrature proche de l'Empereur, jeunes femmes coquettes et bien résolues à rivaliser en toilettes et bijoux - sans gêne aucune pour évincer celle qui gênerait. Et justement, le baron Martial de la Roche-Hugon et son ami, le colonel Montcornet (bon, il est appelé maréchal au début et descend en grade par la suite) ont tous deux remarqué la même jeune femme, dont la présence énigmatique, cachée en partie derrière un candélabre, les intrigue vivement. Elle est d'une grande beauté, très élégante, mais sa tristesse et sa posture à l'écart de tous surprend, et l'on s'interroge sur elle, la "jeune femme en bleu"...
Les deux compères et complices, qui ont parié un cheval de bataille qu'ils danseraient avec elle, doivent toutefois se faire discrets, car entre en scène la splendide comtesse de Vaudremont, jeune veuve riche à millions, maîtresse de Martial. Elle est au bras de son précédent amant, le baron de Soulanges, mais elle le congédie vite pour briller seule au firmament du bal et retrouver Martial, qui de son côté aimerait bien faire son chemin auprès de la belle inconnue. Quadrille, virevoltes, désir et intérêt, espoir et déception, gain et perte, les figures de la réussite sont si complexes ! Dans les salons qui jouxtent la salle de bal, on joue, et certains qui se sont cru plus malins pourraient bien se faire rendre la monnaie de leur pièce, et la chance aller en récompenser d'autres. de son côté, la belle comtesse bénéficiera d'un appui inattendu en la personne d'une duchesse du siècle précédent, vieille femme malicieuse, voire un peu peste, qui lui donnera quelques leçons sur l'art de se faire bien comprendre des hommes. On croirait voir Violet médire dans Downton Abbey, c'est réjouissant, j'ai beaucoup aimé cette Madame de Grandlieu.
C'est donc une comédie de moeurs dont
Balzac nous régale, toujours cette comédie de la vanité, du mensonge, de l'espionnage des esprits, avec un brin de fatuité masculine et de malice féminine. La délicieuse ironie du grand écrivain irrigue la nouvelle, la rend pétillante à souhait, on se prend d'intérêt pour les personnages, même si leurs chassés-croisés font un peu tourner la tête - j'ai préféré faire un schéma de "qui aime qui" pour m'y retrouver. La mystérieuse et naïve jeune épouse retrousse ses manches et donne une belle leçon à l'un de ses prétendants, et un cheval changera d'écurie. Peut-être pourrait-on trouver ces marivaudages conjugaux un peu répétitifs d'une nouvelle à l'autre, mais comme tout bal, lorsqu'on se démène et qu'on s'essouffle, que les belles épaules et les corsages palpitent et le rouge monte aux joues, rien n'est plus nouveau et excitant que ce bal précis, avec tous les possibles qu'il ouvre.