Il y a tant à dire sur
Balzac et sur chacun de ses romans et en particulier sur son chef-d'oeuvre «
Le père Goriot » que les mots et les idées se bousculent en rangs serrés à l'esprit au point que rien ne passe par l'entonnoir de l'écriture. Il faut donc prendre sa respiration, noter quelques idées, faire un tri, sélectionner l'essentiel et ensuite tenter une formulation en sachant d'avance que l'on ne pourra pas tout dire et c'est alors que la peur d'oublier quelque chose d'important vous paralyse encore plus. Essayons tout de même…
Balzac a eu l'idée de son Père Goriot probablement dans le courant de l'année 1834, on trouve dans son carnet d'idées les notes suivantes : « Sujet du père Goriot : un brave homme — pension bourgeoise — 600 francs de rentes — s'étant dépouillé pour ses filles qui toutes deux ont 50 000 francs de rentes, mourants comme un chien. »
Vous avez 40 jours pour en faire un chef-d'oeuvre de 300 pages !
C'est la tâche à laquelle
Balzac s'est attelé en septembre 1834 à Saché dans le château de son ami monsieur de Margonne où il était venu pour se « reposer » sur les recommandations du docteur Nacquart.
L'essentiel est dit dans cet énoncé, chaque mot a son importance et l'on est frappé par la simplicité de l'esquisse par rapport à l'importance de l'oeuvre qui va en sortir. Il y est question d'un brave homme, d'argent, de ses filles qui le dépouillent et de sa mort. C'était l'idée de départ
De Balzac, un hymne à la paternité, mais en cours d'écriture le génie
De Balzac s'échauffe, il crée des personnages exceptionnels, des « types humains » que l'on retrouve dans toute son oeuvre (c'est dans
le père Goriot qu'il commence à appliquer sa grande idée du retour des personnages) : Rastignac,
Vautrin (inspiré par l'ancien bagnard Vidocq dont s'emparera aussi plus tard
Victor Hugo en créant Jean Valjean), Gobsek, le baron Nucingen,
la duchesse de Langeais, Horace Bianchon et tant d'autres personnages plus vivants que leurs modèles. En créant ses personnages
Balzac change ou plutôt complète la thématique de son roman, il s'agira aussi d'un roman d'éducation, celle d'Eugène de Rastignac qui va passer du jeune homme sensible pétri de bonnes intention à l'arriviste le plus exécrable sous l'égide de
Vautrin et de la vicomtesse de Beauséant, celle-ci lui prodiguera ce conseil : « N'acceptez les hommes et les femmes que comme des chevaux de poste que vous laisserez crever à chaque relais, vous arriverez ainsi au faîte de vos désirs. »
Le père Goriot c'est aussi un roman sur l'argent, il en est toujours question dans
Balzac, mais aussi un roman sur la bourgeoisie parisienne, les moeurs du temps, le mariage, la corruption, l'hypocrisie et la trahison. Un roman aux multiples entrés et d'une richesse inouïe avec ce thème central du sacrifice christique d'un père pour ses filles.
Le père Goriot est l'un des trois ou quatre grands romans de la littérature mondiale qu'il faut avoir lus. le génie
De Balzac s'y révèle à chaque page avec une force d'évocation et une telle vitalité que je ne pouvais m'empêcher de dire presque après avoir tourné chaque page « C'est sublime ! » avec l'étonnement du ver de terre qui rencontre le plus beau papillon du monde.
Comme l'écrivait
Maurice Bardèche « …
le Père Goriot est plus qu'un moment heureux dans l'art
De Balzac, c'est un moment décisif. Tout ce que
Balzac avait dispersé jusqu'ici, dans différentes séries d'oeuvres, est réuni pour la première fois et désormais tout se renforce et s'éclaire. Tout est maintenant chargé de pensée, multiplié, et porté, pour ainsi dire, par toute l'oeuvre antérieure… C'est pourquoi
le Père Goriot n'est pas seulement le plus grand succès
De Balzac, c'est une date capitale dans l'histoire de son oeuvre. Pour la première fois,
Balzac est maître de tous les moyens de son art et de sa pensée… C'est le premier chef d'oeuvre
De Balzac. »
Je ne saurais mieux dire.
J'ai découvert pour la première fois
le Père Goriot vers l'âge de 15 ans, je le redécouvre aujourd'hui à 70 ans avec plus de ravissement encore. Mais pour découvrir
Balzac, il faut un temps d'adaptation et commencer peut-être par des
nouvelles plus courtes comme «
le colonel Chabert » ou «
La fille aux yeux d'or » pour se préparer à absorber le choc du Père Goriot et aussi pour lancer au monument que représente la Comédie Humaine, le défi de Rastignac : "À nous deux maintenant !".
– «
Le Père Goriot », Hachette n° 1 de la collection des oeuvres illustrées d'Honoré de
Balzac (2022), 284 pages.