Citations sur La Réserve (19)
Puis, les mains posées sur les épaules nues de l’autre, ils s’embrassèrent avec douceur, comme soulagés et reconnaissants d’être parvenus à donner cette fin pacifique à une dispute douloureusement prolongée. Ensuite, ils s’étreignirent et se caressèrent mutuellement les seins, le dos et les bras – elle avait la peau lisse, crémeuse, douce comme une soie très fine, et celle de Jordan était d’un blanc d’albâtre, bien tendue sur les muscles et les os -, puis leurs corps séparés perdirent peu à peu leurs frontières et se fondirent en un troisième corps qui, en englobant leurs différences masculines et féminines, effaçait tous leurs contrastes et inversions anatomiques.
- Maintenant, je commence à comprendre que je ne peux plus tout avoir de la vie. Certaines des choses que nous voulons en annulent d'autres que nous voulons aussi. Je ne veux pas entrer dans les détails, mais je veux que ma femme et mes fils soient heureux. Je veux qu'ils soient fiers de moi. Et cela, je le veux plus que certaines choses, dit [Jordan] en se retournant vers [Vanessa.].Y compris vous. [...]
Vous êtes comme moi, Vanessa von Heidenstamm. Et les gens comme moi laissent pas mal de naufragés dans leur sillage. Je ne veux pas que ma famille fasse partie des naufragés. C'est tout ce que je vous dis
Toute la journée, Alicia eut le ventre contracté et léger comme un ballon rempli d'hélium, et elle se sentit les jambes et les bras mous, sans force. Ses mains tremblaient comme si elle avait bu trop de café. Se trouver au seuil d'une vie dont elle n'arrivait à imaginer ni la forme ni les détails était une situation qui la terrifiait.
(Je viens d'apprendre la disparition de Russell Banks. Et dire que je regardais encore récemment si un nouveau roman de ce grand écrivain allait bientôt paraître)
Ainsi — et peut-être était-ce la seule manière possible —, il avait réussi à ne jamais tomber amoureux d’une autre femme que la sienne; et il en ressortait sans culpabilité, à part celle qui lui venait de se savoir là très indulgent envers lui-même alors qu’il n’aurait en aucun cas accepté que sa femme se permît la même chose.
Après quelques instants, une fois cette lumière crépusculaire passée, ils se tourneraient de nouveau vers le lac dont ils admireraient en silence la surface qui miroiterait sous la lumière métallique renvoyée par les nuages dorés. C’est alors, enfin, qu’ils remarqueraient Vanessa Cole, toute seule, debout un peu plus loin sur une des plaques rocheuses qui s’enfoncent dans l’eau juste au-delà de la plage de graviers. Elle tournerait son dos étroit et élancé à ses parents et à leurs amis, mais on verrait le bout de ses doigts touchant légèrement sa gorge fine, pâle, levée vers le ciel. Plongée dans de sombres et solitaires méditations nordiques, en train de contempler ce vaste espace délimité par le lac, la forêt, la montagne et le ciel, Vanessa aurait l’air de se tenir au centre exact de la réserve naturelle, elle en serait le lieu essentiel, l’unique point doté de sens. Pendant un moment intéressant, le drame du soleil en train de disparaître se confondrait, pour ses parents et leurs amis, avec le drame de Vanessa Cole.
On commence à écrire de la fiction, on commence à raconter des histoires, pour essayer d'atteindre ce qui est la vérité de l'existence humaine
De l’autre côté du hangar, attaché par le nez à un mât d’amarrage, l’énorme zeppelin flottait à trois mètres du sol. Le dirigeable argenté mesurait environ deux cent cinquante mètres de long et il avait la forme d’une baleine géante.
Malgré sa taille prodigieuse et sa vitesse que Jordan estima à cent trente kilomètres-heure, il avait une façon implacable de se déplacer dans les airs, et pour Jordan, paraissait plus animal que mécanique, plus proche d’une créature vivante venue d’un autre âge que d’une machine volante fabriquée par l’homme au XXe siècle.
Tout ce que vous avez besoin de savoir se trouve dans la bibliothèque. Tout.
Comme s'il invoquait une autorité supérieure, le docteur affirmait : " Ceux qui n'ont pas la possibilité de satisfaire certains besoins émotionnels de l'enfance restent souvent bloqués à ce stade infantile".
Vanessa pouvait à présent entendre avec netteté et régularité le bruit de l'avion. Bien qu'elle ne fût pas en mesure de le voir, elle savait qu'il venait du nord, qu'il volait bas, qu'il remontait la rivière Tamarack jusqu'au Premier Lac et qu'il arriverait jusqu'à la source, ici, au Second Lac. Soudain l'appareil surgit dans le ciel, au nord, juste au-dessus de la noire silhouette d'une rangée d'épicéas. Il s'élevait rapidement au-dessus de l'eau en exposant son ventre luisant au soleil couchant comme si le pilote avait décidé d'embrasser du regard le lac tout entier avec les montagnes qui l'entouraient et le ciel de plus en plus sombre. Puis elle entendit le moteur ralentir. L'avion, un biplan gris pâle bordé de rouge vif, à double cockpit ouvert - dans celui de devant, un pilote avec des lunettes d'aviateur mais sans casque, et personne dans le deuxième -, ralentit, parut presque s'arrêter en vol pour planer, puis vira sur l'aile en direction de l'ouest et du mur montagneux qui plongeait tout droit dans l'eau miroitante.
C'était un hydravion muni de deux gros flotteurs, et Vanessa eut l'impression d'avoir sous les yeux un homme qui allait délibérément écraser son appareil contre la paroi verticale en granit gris de trois cents mètres de hauteur. Oubliant ses pensées froides, elle fut presque prise d'excitation car elle n'avait encore jamais vu quelqu'un se tuer et ne s'était pas rendu compte qu'elle en avait toujours eu un tout petit peu envie - ce qui l'étonna. Le pilote semblait sur le point de fracasser son avion contre la paroi de pierre de la montagne quand, à moins de cent mètres du mur, il vira fortement à gauche, ramena les ailes en position horizontale, réduisit la vitesse du moteur jusqu'à l'arrêt ou presque et descendit rapidement vers le plan d'eau.