On ne peut qu'être touché par l'histoire de Suzanne Meloche, qui paie très cher sa soif de liberté, sa quête artistique, son désir pour l'amour. Que l'on soit femme, mère ou fille, on est pris dans cette course en avant pour exister, quitte à laisser et à abandonner ce qui lui est le plus cher, ses enfants Mousse et François.
C'est la petite fille de Suzanne qui conte l'histoire de sa grand-mère, elle s'adresse à elle directement et lui parle. Cela rend le ton du livre unique, le « tu » est saisissant, interpellant sans jugement. Anaïs chemine à ses côtés, observatrice de ses errements, de ses investissements affectifs et idéologiques. L'utilisation de la 2nde personne du singulier introduit de la distance dans le récit, tout en créant une intimité qui nous enveloppe. On regrette les choix de Suzanne car on connaît les ravages que les abandons successifs, les faux espoirs donnés aux enfants génèrent. En cela, certains passages sont terribles. Pour autant, L'auteur réussit à susciter de l'empathie pour sa grand-mère en contextualisant son engagement artistique.
Née d'une famille religieuse dans les années 30, dans un Ottawa miné par la crise économique, Suzanne quitte rapidement sa famille pour suivre des études classiques. A Montréal, elle rencontre un groupe de jeunes artistes : leur liberté, leur créativité, leurs idées progressistes la séduisent et puis, il y a Marcel – boucher le jour, peintre la nuit – avec qui elle vivra un grand amour et qui la fera mère. Si la naissance de ses enfants la comble, si la maternité vient nourrir son affectivité, ces nouvelles responsabilités la plombent, la ligotent, l'empêchent... Toute sa vie, Suzanne sera tiraillée par des forces puissantes : se laisser engloutir par l'amour qu'elle porte à Mousse et à François au péril de son intégrité ou se défaire de tout lien pour vivre pleinement, sans entrave.
Anaïs Barbeau-Lavalette fait oeuvre de réparation pour sa mère, elle panse des plaies toujours béantes en expliquant, en racontant, en mettant en scène la complexité de la personnalité de sa grand-mère, en retricotant une histoire familiale, en lui donnant du sens. Si abandon il y a eu, il y a eu aussi de l'amour – de la passion même. On ne sort pas tout à fait indemne de cette histoire, tant son humanité est douloureuse.