Citations sur Et mes yeux se sont fermés (41)
Alors j'ai vu des les gens qui pleuraient, qui tenaient des bougies, et je me suis souvenue de cette sourate du Coran: "Celui qui prend une vie prend toutes les vies." J'ai pensé qu'un an plus tôt, moins, même, j'aurais vraiment été fière d'être la femme de l'un de ceux qui avaient fait ça. L'un de ceux qui probablement, mourraient en martyrs dans les jours suivants.
Mais ils avaient tué Redouane et, depuis j'avais eu pas mal de temps pour réfléchir.
Trop, même.
Je suis veuve, deux fois veuve, et je n’ai que seize ans.
" Je suis veuve, deux fois veuve, et je n’ai que seize ans. "
Le plus terrible, avec les embrigadés, c'est qu'ils deviennent aussitôt des embrigadeurs, et forcenés, croyez-moi. Ils sont terriblement convaincants, parce que terriblement convaincus.
Nous avions appris deux ou trois choses très importantes. Notamment le fait qu'essayer de ramener à la raison les jeunes embrigadés par Daech ou Al-Nosra non seulement ne servait à rien, mais s'avérait contre-productif. Nos arguments pour tenter de les raisonner étaient exactement ceux que les rabatteurs avaient prévu que nous utiliserions. Après ces premiers échecs, nous avons vite compris que l'émotion était le chemin le plus court pour renouer avec l'humanité perdue de jeunes fanatiques transformés en machines. Et en même temps, quand je dis ça, je me rends bien compte à quel point il est difficile pour eux de se reconnaître dans le portrait que j'en fais. De leur point de vue, ils ont au contraire gagné en humanité, en fraternité.
Je les reconnais à leur façon de porter sur leurs épaules le fardeau d'une enfance délaissée. Personne ne leur a parlé, ne leur à raconter d'histoires pour les endormir, pour les faire grandir. La télévision leur a servi de baby-sitter. Leurs regards se perdent, ils sont incapables de se concentrer. Ils ne sont pas plus stupides que d'autres ni moins sensibles. Mais voilà, nombre de recoins obscurs de leurs cerveaux n'ont jamais été illuminés. Ils se sont abîmés dans cette forme de léthargie où la négligence de leur entourage plonge certains enfants pour le restant de leurs jours.
Je me suis fait la réflexion que, en fait, juste en mettant un peu de vérité dans beaucoup de mensonges, c'était facile de les faire avaler, y compris des gens intelligents.
Je lui ai mis entre les mains plusieurs exemplaires de Charlie Hebdo. Elle les a feuilletés. Elle n'a pas ri. Elle me les a rendus en murmurant pour elle même :
- Enfin, c'est mal de se moquer de la religion des gens.
Il y a eu un silence gêné entre nous et elle a ajouté :
- Mais c'est quand même que des dessins. Ca vaut pas la peine de verser le sang d'un homme pour ça.
Puis :
- Là-bas, ils le versaient pour bien moins que ça.
(extrait choisi par Emma)
Peut-être vous est-il déjà arrivé d’entendre des mots dont vous comprenez absolument la signification et pourtant, de ne pas réaliser leur sens, tout simplement parce que votre cerveau refuse d’affronter la réalité.
L’idée que j’ai été manipulée, c’est ça le plus dur à avaler. Des fois, j’ai envie d’aller sur Facebook, de parler avec mes sœurs pour me rassurer. On faisait ça tout le temps, elles m’entouraient vraiment beaucoup. Mais Maman a coupé ma connexion Internet et je n’ai même plus droit au portable. Confisqué. Je ne me suis jamais sentie aussi seule. Elle ne comprend pas que Maëlle ne reviendra jamais, que je demeurerai Ayat, que c’est pour toujours, à présent (p.10)