Je n'ai pas lu ce livre, je l'ai gobé. En 24 heures, l'affaire était classée – chose qui ne m'était pas arrivée depuis quelques années.
C'est l'histoire de Maëlle qui devient Ayat. de cette lycéenne révoltée que l'injustice offusque. C'est l'histoire de sa conversion à l'islam, de son lavage de cerveau et de sa fuite vers la Syrie. Une fuite destinée à lui faire rejoindre son nouveau mari, un terroriste, et fabriquer de nouveaux petits soldats au nom d'Allah et de la justice.
Une histoire malheureusement commune. Beaucoup de Maëlle sont parties en douce et très peu sont revenues.
La (bonne) surprise de ce roman, c'est de voir cette histoire racontée par Maëlle/Ayat, mais aussi par toutes les personnes qui lui sont proches : sa mère et sa soeur, bien sûr, mais aussi ses camarades de classe, son prof, la fille avec laquelle elle fugue, la jeune femme en charge de sa réinsertion… Chaque point de vue se révèle enrichissant. L'auteur évoque les tensions familiales, l'absence du père, son désengagement et son manque de tact. Mais aussi l'indignation de Maëlle, qui découvre toute seule les injustices de ce monde, les enfants qui meurent de faim, les guerres au nom du profit, les dessous de la nourriture industrielle, et s'insurge contre son univers occidental, mais aussi contre sa mère qui, par son silence y consent. Par sa sensibilité, par son manque de repères, c'est une victime de choix pour toutes les théories du complot et pour tous les manipulateurs.
Les camarades de classe, eux, sont l'occasion d'évoquer les amitiés et les amours adolescentes. Ils mettent en lumière le repli brutal de la jeune fille, pour qui la réalité est devenue soudain beaucoup moins importante que ses contacts virtuels avec des personnes qu'elle n'a jamais vues. le point de vue de Souad était un des plus intéressants : issue d'une famille de tradition musulmane, elle représente toutes ces personnes modérées qui habitent en France et qui font si peu parler d'elles. Des personnes qui rejettent l'extrémisme religieux dans lequel plonge Ayat. Idem avec Aïcha, en charge de la réinsertion des jeunes en difficulté : elle explique les mécanismes de harponnage, les techniques de manipulation, l'embrigadement progressif, le changement de réalité...
Le chapitre consacré à Jeanne, la jeune soeur de Maëlle/Ayat, était un des plus touchants :
par amour pour son aînée, elle est prête à se convertir elle aussi, mais y renonce au dernier moment parce qu'elle aime également sa mère et n'approuve pas le discours que sa soeur tient sur elle. Un personnage silencieux, dévoré de culpabilité, pour qui les adultes n'ont que peu de tendresse.
Le plus surprenant, pour moi, c'était de voir un chapitre consacré à Amina, la jeune fille qui rejoint la Syrie en même temps qu'elle. C'est une voix dure, inflexible, qui devait sans doute être la même que celle d'Ayat avant qu'elle ne tombe enceinte. Une jeune fille d'à peine seize ans qui condamne à mort sa comparse pour avoir osé fuir le Shâm (le paradis sur Terre). Une voix choquante, en contraste avec Souad.
J'ai vraiment apprécié l'écriture, qui a réussi à sonner juste à chaque chapitre, qui a su donner sa voix à chacun.
Patrick Bard brosse le portrait tout en subtilité de son héroïne, mais aussi de son entourage, dont on discerne les forces et les peurs.
Je n'ai pas pu m'empêcher de remarquer que le premier chapitre est dédié à Maëlle et que le dernier est au nom d'Ayat. La même personne qui ouvre le récit avec son nom de naissance et le clôture avec son nom de conversion, comme pour mettre en miroir l'avant et l'après de cette période. Peut-être aussi pour en montrer l'irréversibilité.
Et il est vrai que qu'elles sont irréversibles : on apprend dès la première page qu'elle est enceinte de Redouane, son mari. Un changement qui bouleversera toute sa vie...
Un balayage intense et complet de ces problématiques qui m'a donné matière à réfléchir.
Voilà trop longtemps que je n'avais plus eu de coup de coeur en littérature jeunesse et young adult. Je suis contente que ça ait enfin changé.