J'assiste à un véritable défilé de prédateurs: lynx et gloutons, martres et pékans, belettes et chouettes. Il semble que chaque créature en dévore une autre près de la frontière canadienne, et un vieux dicton me revient en tête: "Plus vous approchez du Canada, plus il y a de bêtes prêtes à manger votre cheval."
Quelque chose au plus profond de mon être me dit qu'il est en ce monde des choses qui, si on les touche ou les mesure, disparaissent.
Je refuse de considérer la nature comme un anachronisme ou un vestige du passé - un résidu de la période romantique, des Lumières ou de tout autre époque sinon celle du souffle originel de la création.
Nous prenons sans aucune générosité. Nous traquons les derniers espaces naturels pour leur faire injure, l'esprit troublé, comme si nous avions oublié que nous ne pouvons vivre ou survivre sans la grâce et la magie.
Une fois coupés ces arbres, la terre s'en irait, et pendant longtemps il n'y aurait que le vide au lieu de la beauté - seul resterait l'écho de la beauté.
La vallée du Yaak est un lieu magique.
Un peu plus bas, une femelle élan gigantesque et son petit, à peine plus gros qu'un chien, se tiennent dans l'herbe des marais, d'un vert un peu jaune, sain et lumineux, presque fluorescent. Le soleil les illumine.
Tous, nous naissons avec l'instinct, l'amour et le besoin de la beauté ou de la grâce.
Si un lieu est source de paix, ne peut-il transmettre cette paix à ceux qui l'habitent?
Les gens d'ici -ceux qui vivent ici- sont tombés sous le charme de cette vallée. De ses contours. Et de son rythme, jour après jour.