En février – après que les bourrasques du chinook furent arrivées, dégelant les visages pour y épanouir des sourires, redonnant aux femmes un air heureux et aux hommes une expression virile plutôt que la moue des gamins boudeurs –, en février, Mahatma Joe Krag, le prêcheur de Grass Valley, piqua une colère qui rappelait celle des autres printemps.
L'hiver avait été rigoureux dans le nord du Montana, si rigoureux que des corbeaux tombaient parfois du ciel en plein vol, les organes internes apparemment éclatés, et tels de grands lambeaux de chiffon noir ils tombaient dans les bois ou dans une pâture, percutant la terre à quelques semaines du printemps.
Les chevaux efflanqués, ceux que les coyotes et les loups n'avaient pas eus, s'approchaient alors ; ils ramassaient ces corbeaux entre leurs dents et se mettaient à les manger en mâchant leurs plumes noires et luisantes.
Il n'y avait rien d'autre.
Les gens étaient tellement à cran que même le saloon ferma. Les autres hivers, ils y allaient pour se retrouver, discuter, boire et se lamenter collectivement, mais maintenant les bagarres se multipliaient, ainsi que les duels au pistolet dans la neige, des duels qui ne tuaient jamais personne, pas à trente mètres avec les calibres .22 qui restaient en permanence au comptoir du saloon, à disposition des clients. La neige, qui d'habitude tourbillonnait en tempête, diminuait encore les risques d'accident, même si l'un des duellistes blessait souvent l'autre, l'atteignant à la cuisse ou à l'épaule, et même une fois, dans le cas de Boyd Une-Couille, à l'entrejambe.
Ce fut un mauvais hiver, même pour Grass Valley.
Leurs mouches restent une seconde suspendues au -dessus de leur tête pendant le lancer arrière, ces minuscules mouches jaunes mêlées aux étoiles avant d'être propulsées vers l'avant, de flotter sur la rivière puis de dériver, de chevaucher la folle ruée médiane, en attendant d'être gobées par un saumon argenté en maraude. A l'autre bout de ce mince fil, les hommes scrutent l'obscurité presque complète en fixant l'eau moire et rapide, ils attendent l'à-coup qui leur secouera l'épaule, cette décharge presque électrique qui leur annoncera que le poisson, le leurre et l'homme sont reliés.
Personne n’est censé manger les poissons des Grands Lacs, car ils sont bourrés de plomb, de zinc et de merdes diverses, mais les hommes ne s’en privent pas. Les femmes n’ont pas peur non plus, car elles se disent que ce n’est pas pire que ce qu’on leur vend dans les magasins.
Il avait l'impression que non seulement son secret était connu de tous, mais que ces hommes avaient vécu la même chose - qu'ils avaient déjà poursuivi leur femme, qu'ils l'avaient perdue, rattrapée, relâchée, poursuivie de nouveau et retrouvée - et que la raison pour laquelle personne ne disait rien tandis qu'ils marchaient et que les étoiles éparses brillaient autour d'eux, c'était qu'ils se ressemblaient tous à s'y méprendre. Il était inutile de parler.
L'homme ne doit pas boire l'eau vive des torrents bondissants, s'il n'est pas prêt à ce que la nature tout entière renaisse en lui prêt à allaiter des monstres». Thoreau
La Fête du Livre de Bron propose chaque année une journée de réflexion sur des enjeux majeurs de la littérature contemporaine. le vendredi 8 mars 2019, nous proposions un focus sur les liens entre littérature, nature sauvage, grands espaces, sciences humaines et environnement.
Lors de cette 33ème édition, nous avions la chance d'accueillir Oliver Gallmeister, éditeur spécialisé dans la littérature des grands espaces, pour un grand entretien exceptionnel, animé par Thierry Guichard, à revivre ici en intégralité.
De Henry David Thoreau à Jim Harrison ou Rick Bass, la littérature américaine est depuis un siècle et demi étroitement liée à la nature sauvage et aux grands espaces. Regard sur cette tradition du « nature writing » en compagnie d'Oliver Gallmeister, fondateur des éditions du même nom, l'un des passeurs d'une littérature américaine contemporaine ancrée dans son environnement avec un catalogue comptant notamment des auteurs comme Pete Fromm, Jean Hegland ou David Vann.
En partenariat avec l'Université Lyon 2, la Médiathèque Départementale du Rhône et Médiat Rhône-Alpes.
©Garage Productions.
Un grand merci à Stéphane Cayrol, Julien Prudent et David Mamousse.
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