"La haine épuise, le mépris assèche, la jalousie hystérise et le sarcasme amoindrit, reprit Henriette. Haïr prend un temps fou et le temps est précieux."
"Quoi qu'il en soit, réfléchir à la mort est une perte de temps La mort est une image insaisissable. Elle est sans évolution, aussi statique que nos névroses. C'est une pensée paralysée, une idée qui se mord la queue."
"_La littérature n'est pas forcément le reflet de la vie, objecta Ludovic d'un ton tranchant.
_Et pourquoi ? s'étonna Suzanne.
_Parce que dans la fiction il y a des effets sans cause. On n'est jamais obligés à rien."
Il n’avait toutefois pas échappé à Pierre que la petite troupe l’avait observé sans relâche, affranchie sans doute par Isabelle sur leur projet de mariage. Le mois précédent, il lui en avait officiellement fait la demande. À sa grande surprise, plutôt que de lui répondre oui en s’accrochant à son cou, elle lui avait proposé de rencontrer sa famille. Pierre avait compris que son consentement dépendrait du jugement des Pettigrew et, quoique très vexé, il avait accepté de s’y soumettre. Il jouait donc gros en venant passer une semaine dans la gueule du loup. Il allait devoir rejoindre les autres sur scène, inventer son propre personnage et improviser aussi brillamment que ses partenaires. Entre deux plats et moult citations, ses hôtes lui avaient posé des questions. Ils lui avaient épargné le sempiternel « tous pourris » qui revenait comme un mantra dès qu’il évoquait son métier de journaliste politique.
« Il ne faut pas avoir peur de l’étrangeté [...] c’est un trésor »
"Le portrait est un art et pas seulement en peinture. Il faut tenter de fixer les traits d'un visage que chacun perçoit à sa manière. Il existe une multitude de versions de nous-mêmes. Notre visage appartient à ceux qui nous regardent et nous n'avons qu'une idée imprécise de ce qu'ils voient."
"_Pierre, les familles sont comme des pays. La nôtre n'a rien d'exceptionnel. Elle a sa propre politique, son histoire et ses rituels, ses mots d'auteur, ses dates anniversaire, ses stars, ses grands sages et son esthétique."
Henriette utilisait les livres comme des médicaments. Ils guérissaient son spleen et la protégeaient des maladies morales les plus pernicieuses. Elle était convaincue que la littérature lui avait apporté des réponses à presque toutes les questions qu’elle s’était posées et l’avait préservée des ravages du racisme, de l’antisémitisme, de l’individualisme, de l’homophobie et d’un tas de mauvaises tentations auxquelles le vingtième siècle l’avait exposée.
On la laissa parler sans intervenir car, chez les Pettigrew, il était d’usage d’écouter les enfants. C’était un principe jamais remis en question même si les récits peu structurés aux multiples ramifications tournaient parfois à la torture mentale ou au discours de dictateur cubain.
On a besoin d’illusions pour se maintenir en vie, tu sais. Or le passé est sans illusions et, à mon âge, il est urgent de s’en faire.