Du jour au lendemain, ses parents étaient devenus des pantins triste, dupes et victimes de leur milieu, des enfants sages qu'il n'avait plus vraiment envie d' émerveiller. Ils avaient passé trente ans à le rassurer et à le protéger d'un environnement prétendument dangereux et lui avaient inspiré des terreurs inutiles, des fantasmes prêt-à-porter qu'il avait endossés sans réfléchir. Il avait fui Isabelle parce qu'il avait pris peur, parce qu'il avait grandi dans un monde où le ridicule tuait, où l'on devait sans cesse trouver dans le regard de l'autre un réconfort sans lequel on était perdu. L'entre-soi des Pettigrew n'impliquait aucune conformité. Cette famille était une passoire à très gros trous qui laissait filer la subtilité aussi bien que l'énormité, sans se soucier des modes et des diktats levesquiens.
Ludovic éclata de rire. Apercevant Pierre, il fondit sur lui, les bras en croix, évitant de justesse une volaille effarée.
Il pensa, un peu affolé, que si les lieux reflétaient la personnalité de leurs propriétaires, Isabelle était bordélique, traumatisée et réfractaire aux lois de la symétrie.
Isabelle remua dans son sommeil en émettant un délicieux soupir. Pierre se lova contre son corps et étouffa un rire. Il se demanda par quel miracle il avait réussi à garder son sérieux tout au long de cette soirée inaugurale.