Les mots « desafinado » (désaccordé) et « saudade » (nostalgie, à la fois envie de partir et de rester, un mot pratiquement intraduisible) me viennent à l'esprit pour ce roman. Allez-savoir pourquoi... Ce sont des mots qui sont employés abondement dans la littérature et la musique brésilienne. Quelque chose aussi « d'Orfeu Negro », ce film réalisé par Marcel Camus en 1959 qui se passe dans les favelas de Rio. C'est à la fois tout ça et pas tout à fait. Enfin pas que ça. Toutes les nuances du Brésil sont contenues dans ce roman.
C'est un roman très « coloré », original, plein de vie, de fantaisie, d'humour désabusé, de naïveté aussi. Une fraicheur propre à la littérature Sud-Américaine. Une légèreté pour aborder des sujets qui ne le sont pas vraiment. En l'occurrence dans ce roman, les efforts pour l'émancipation de la femme dans les années 50-60, ici, au Brésil, mais partout ailleurs dans ce continent, très « machiste » qui vivent sur la base du patriarcat absolu.
Ce roman retrace une tranche de vie; ce qui veut dire que nous prenons la vie d'Eurydice à un moment « X » et que la fin n'en est pas une puisque sa vie continuera son cours. Cela ne m'a pas gênée, cela permet au contraire d'imaginer ce qu'elle a pu faire après, même si on y trouve comme du renoncement et une résilience sur la condition féminine dans son comportement.
A la base, Eurydice est inventive. Elle ne rêve pas de « révolution » à proprement parler, juste de reconnaissance. Elle s'ennuie dans son quotidien routinier et ne s'en contente pas. Elle veut s'adonner à ses hobbies, des passions que d'autres qualifient de lubies.
Elle s'essayera à la cuisine « élaborée » et tentera d'en faire un livre de recette mais sera en bute à l'incompréhension de son mari qui ne comprend absolument pas sa démarche.
Puis, elle s'improvisera avec succès couturière. Avec une telle réussite que bientôt ses clientes ne se comptent plus et qu'elle doit faire appel à des aides. Son hobby est en passe de devenir une véritable petite entreprise, qui ne sera pas, mais alors pas du tout du gout de son mari lorsqu'il viendra à le découvrir.
Non, mais c'est vrai quoi ! C'est lui l'homme de la maison, celui qui trime et s'échine pour ramener l'argent du foyer. Depuis quand voit-on que sa femme aurait de telle velléité ? Et que diraient les voisins, la famille ???
Car cette société là fonctionne sur un modèle de patriarcat où l'homme, le père, le mari règne en maitre. Pas question de se faire damer le pion et surtout quelle utilité ?
Tantôt drôle, tantôt nostalgique, optimiste, tragique, tantôt attendrissant, les personnages sont extrêmement attachants, plein de courage pour certains, étouffés par la fierté pour d'autres. Certains mesquins, engoncés dans des traditions ancestrales qui leur collent à la peau, d'autres « lumineux » et plein d'espoirs. J'ai ressenti de l'empathie pour certains des personnages, une tendresse particulière pour Filomena, de la tristesse parfois et même de la colère devant des réactions tellement obtuses.
Mais ce livre parle aussi bien des favelas, des populations déshéritées qui vivent en marge de Rio, que de classe sociale dite aisée, de petite bourgeoisie engoncée dans leurs principes rigides et patriarcaux.
Les parents d'Eyridice sont de simples commerçants, pas riches, mais suffisamment pour ne pas vivre dans des bidonvilles. Lorsqu'elle se marie, elle « gagne » un rang social qui lui permet de vivre dans une maison très correcte.
En revanche sa soeur, qui rencontre un charmant jeune homme révolté, qui lui étouffe dans une haute bourgeoisie, très collet-monté entre des parents bouffis d'orgueil et de richesse. Il ne rêve que d'une chose : s'en affranchir.
Il entrainera Guida dans ses rêves d'indépendance qui finiront dans un faubourg mal famé et déshérité de Rio puisque les parents fortunés ont coupé les vivres au fils à papa qui se révèle en être un archétype parfait puisqu'il retournera vers sa belle demeure et ses richesses dès Guida enceinte. Un « riche » rêve-t-il donc de devenir « pauvre » ??? c'est rare !
Ce livre sous ses airs « légers » a beaucoup plus de profondeur qu'il n'en a l'air. D'aucun y voit une lecture simplette (comme certains le pensent aussi pour
Paolo Coelho). Mais que nenni ! Loin de là. C'est un faux « feel-good » book. Il faut voir bien au-delà.
Ce Brésil fataliste mais qui conserve une innocence et une joie de vivre à toute épreuve qui les aide à supporter les aléas d'une vie parfois tragique. A l'instar, comme je viens de le dire, de
Paulo Coelho qui utilise force métaphores et paraboles à l'aspect simple (je parle de
l'Alchimiste par exemple dont beaucoup n'y voit qu'un conte sans intérêt) qui révèlent en fait une philosophie beaucoup plus élaborée qu'elle n‘y parait. Ici, nous découvrons aussi l'envers du décor (et encore pas le plus sombre) !
Bref, j'ai adoré le style foisonnant, l'histoire, les leçons qu'on peut en tirer et la philosophie qui s'en dégage. Bravo à l'auteure.