Giotto avait renom d’esprit. On en a fait le héros d’anecdotes qui témoigneraient de sa verve facile et caustique. La plus ancienne se trouve dans Boccace. Il observe que, chez des hommes fort laids, peut se trouver une merveilleuse intelligence : tel un certain Forese da Rabatta, petit, difforme, de visage ingrat, mais fort habile juriste; tel aussi Giotto. Tous deux avaient des propriétés au Mugello. Un jour d’été, se rendant à Florence, ils firent route ensemble. La pluie les surprit. Ils se réfugièrent chez un paysan, et, comme le mauvais temps persistait, lui empruntèrent de vieux manteaux et de vieux chapeaux. Ainsi accoutrés, ils se remirent en route. Forese devisait avec Giotto. « Giotto, si quelqu’un te rencontrait qui ne t’eût jamais vu, comment pourrait-il croire que tu es le meilleur peintre du monde ? »
Giotto repartit : « Messire, je pense qu’il le croirait, alors que vous regardant il croirait que vous savez l’a b c ».
Or, par les sculpteurs pisans, Giotto s’est trouvé en rapports avec l’art le plus original qu’il y eût alors en Europe : l’art gothique. On sait aujourd’hui comment l’architecture gothique a pénétré et s’est développée en Italie; on est moins bien renseigné sur la sculpture. Faut-il croire, comme on l’a supposé, que son influence s’exerça surtout par ces ivoires, par ces dessins qui circulaient facilement d’un pays à l’autre? Ou bien, avec les architectes, quelques maîtres imagiers passèrent-ils de France en Italie, disciples inconnus des sculpteurs qui ont enrichi de chefs-d’œuvre nos cathédrales ? Nous l’ignorons, mais, ici encore, mieux que les textes, les monuments nous enseignent l’action profonde de l’art septentrional sur l’art italien dans la seconde moitié du XIII siècle et au XIVe.
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Assise, où le génie de Giotto s’est révélé dans toute sa force et son éclat, conserve aujourd’hui encore la même physionomie qu’au moyen âge. Sur les pentes du mont Subasio, au milieu des oliviers, des vignes et des jardins, elle dresse ses maisons les unes au dessus des autres, comme pour contempler l’Ombrie et s’ouvrir à l’air et à la lumière.
Ainsi Florence fut pour Giotto comme une école de plein air. Il y apprit ce qu’il ne pouvait apprendre alors dans aucun atelier, comment on vit et comment les mouvements du corps traduisent les passions de l’âme.