AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur Plats du jour : Sur l'idée de nouveauté en cuisine (38)

Esthétisme et gourmandise n'ont rien de contradictoire, a priori.

Certes, cette dernière ne peut être aujourd'hui celle du XIXe siècle, période que l'on cite toujours comme une sorte d'apothéose de la gastronomie ; cet idéal de la pléthore nous semble désormais bien étranger, mais, sans nul doute, d'autres modèles existent (...)

Il faut donc, non pas réinventer la gourmandise - ce n'est pas une chose qui se construit, mais qui, spontanée, surgit lorsqu'on ne l'attend pas ; dans laquelle, en tout cas, l'inconscient a une grande part - mais, certainement, la ranimer, la cultiver, entretenir un terrain qui lui soit propice, l'exercer, et puis la revendiquer et, quelquefois même, l'imposer.
Et, pour cela, avoir un désir ou/et un discours forts.

Dans cette perspective, l'esthétique a un rôle à jouer.
Non pas cet esthétisme tel qu'il s'exerce aujourd'hui et qui procède par intimidation, mais cette étude de notre sensibilité gustative à nous tous, gastronomes en puissance, qui nous permettrait, enfin, de porter un regard différent tout autant sur la création culinaire que sur notre propre gourmandise, et de faciliter, alors, ce dialogue dont il était question plus haut.

Autrement dit, cultivant notre goût (gustatif) personnel, éduquons notre (bon) goût qui ne peut être, lui, que social.
Envisageons la gourmandise comme méthode d'éveil à l'un et à l'autre, et non plus comme source d'un plaisir égoïste et solitaire.
Commenter  J’apprécie          90
On aurait alors trois grandes périodes, depuis le milieu du XVIIe siècle jusqu'à nos jours, que l'on pourrait qualifier de la manière suivante :

l'ère de l'expérimentation, en premier lieu, recouvre le règne de Louis XIV et l'époque des Lumières jusqu'à l'avènement de l'Empire ;

la codification de la cuisine, ensuite, correspond au règne de Carême et à son héritage qui, revitalisé par Escoffier, se maintient, sans pour autant être à l'abri de la contestation, jusqu'aux années 1970 ;

la révolution de la Nouvelle Cuisine (selon Gault et Millau), enfin, apporte un bouleversement radical de l'expérience gastronomique, auquel nous sommes toujours assujettis.
Non qu'il ne se soit rien passé de neuf depuis 1973 : au contraire, la globalisation de la cuisine qui s'en est suivie a permis de multiplier les expériences, mais cette prolifération même semblerait empêcher que l'une se détache véritablement et devienne une référence absolue.
Le seul dénominateur qu'elles gardent en commun demeure donc ce régime du cuisinier autocrate institué par le décalogue de Gault et Millau.
Commenter  J’apprécie          10
Le menu dégustation - il en a déjà été question - ne va pas sans la diminution, en taille, des portions. Comme le souligne Caroline Champion ce dernier mot a son importance : autrefois, on parlait plus volontiers de parts.

Nous l'avons vu, cette habitude du menu à rallonge suscite ou, plus exactement, accentue - car il s'agit d'une tendance générale qui va bien au-delà de la cuisine - une certaine simplification des perceptions.
Un menu perd ainsi de sa polyphonie au profit d'une discontinuité qui n'est pas sans rapport avec la digitalisation. En un peu plus riche tout de même puisqu'on possède encore plus de deux saveurs. Mais, rassurons-nous, il n'est pas dit qu'on ne parvienne un jour à digitaliser la cuisine !

Il ne s'agit pas d'entamer le discours bien connu de la décadence, vieux comme celle-là, mais de constater simplement l'évolution que cela implique dans ce que l'on pourrait appeler le discours culinaire (qui n'est pas le discours gastronomique).

Un médecin espagnol, Raimundo Garcia del Moral, "conseiller scientifique" de nombreux chefs de son pays, dans un colloque qui se tenait à Saragosse quelques années avant la parution du livre de Myhrvold, qualifiait la cuisine française "d'impressionniste" (par rapport à la cuisine espagnole, c'est-à-dire moléculaire, qu'il voyait comme "post-cubiste").

Si ces classifications sont discutables pour différentes raisons, nous l'avons vu, cette approche est cependant intéressante ici : une certaine cuisine contemporaine, qui n'est pas seulement espagnole et moléculaire, abandonne cette approche "impressionniste", c'est-à-dire jouant sur la simultanéité, la multiplicité des contrastes, la possibilité d'une perception à différents niveaux.
Pour faire simple : celui de la vue d'ensemble ou celui de la touche.
Pour garder le parallèle avec la peinture, cette cuisine contemporaine privilégie la monochromie (la monotonie ?) : chaque "plat" met en valeur un goût, ou un contraste de saveurs, ou un effet de texture.

Il y a dans toute cette cuisine contemporaine une obsession de la pureté, pureté du produit, pureté du goût ... Et là, on rejoint le minimalisme.
Commenter  J’apprécie          00
Dans les années 1920-1930, apparaissent aussi des livres qui abordent la cuisine de façon moins formelle, voire avec humour, en particulier dans les illustrations.
On passe du régime de la nécessité - tenir une maison et, donc, nourrir ses habitants - à celui du plaisir et de la convivialité.
Commenter  J’apprécie          10
Parmi les ouvrages à la fois pratiques et originaux, il faut classer la plupart de ceux d'Edouard de Pomiane, médecin d'origine polonaise, directeur de laboratoire à l'Institut Pasteur et spécialiste en hygiène alimentaire.
Parmi son abondante production on peut noter un "Radio Cuisine", anthologie en deux volumes de ses chroniques radiophoniques à Radio Paris faites à la fin des années 1920 et publiées dans le courant de la décennie suivante, "Bien manger pour bien vivre", qui n'est pas un recueil de recettes mais un livre "théorique" de cuisine, "Le Code de la Bonne Chère", sous-titré "700 recettes simples publiées sous les auspices de la Société scientifique d'hygiène alimentaire", mais aussi, au cours des années 1930, se préoccupant des nouvelles conditions de vie et, déjà, du manque d'enthousiasme à faire la cuisine, un prémonitoire "La Cuisine en Dix Minutes".
Pendant la Deuxième Guerre mondiale, il a publié plusieurs livres sur la cuisine de restrictions, "Cuisine et restrictions" et "Manger quand même".

Comme le souligne dans "A table avec Edouard de Pomiane" [1975] l'une de ses plus célèbres élèves, Ginette Mathiot, elle-même auteure à succès dès avant la Deuxième Guerre mondiale et jusqu'à aujourd'hui, ses livres sont originaux car il y manifeste une grande ouverture d'esprit et un véritable talent didactique dans les domaines les plus divers, de la biologie à la géographie, en passant par l'histoire, la chimie ou l'ethnologie, et bien sûr la "gastrotechnie", comme il appelle la technique culinaire proprement dite, mais il le fait toujours avec humour et légèreté.
Commenter  J’apprécie          00
Ce type de livres connaît un grand succès quelques années plus tard, lorsque, dans les années 1950, les foyers européens s'équipent des derniers perfectionnements des arts ménagers :
comment utiliser au mieux son réfrigérateur, sa cocotte à pression ou son mixeur deviennent alors des classiques des cuisines.
Raymond Oliver, grand défenseur du froid domestique, signe ainsi plusieurs petits livres ou plaquettes pour la marque Frigidaire. C'est d'ailleurs dans ce type de littérature promotionnelle, en l'occurrence pour une marque de margarine, que débute celle qui devient l'auteure à succès des Trente Glorieuses, Françoise Bernard.
Commenter  J’apprécie          00
Cette prédominance de la cuisine française dans une certaine sphère sociale ne s'établit pas sans réticences quelquefois.
L'opposition peut, ainsi, être très forte en Angleterre et donner lieu à de véritables polémiques dès l'orée du XVIIIe siècle et pour longtemps. (...)

Ce que reprochent en général les Anglais à la cuisine française, c'est sa sophistication, voire sa complication. Mennell y voit l'influence directe du contexte politique et social : le système curial à la française, mis en place par Louis XIV, favorise cette culture de l'ostentation que ne connaît quasiment pas l'aristocratie anglaise vivant davantage sur ses terres et menant une vie moins oisive. Mais cette hostilité britannique prend volontiers aussi un tour politique

(...) Il n'empêche, la présence française outre-Manche se poursuit tout au long du XIXe siècle, débutant avec Carême, qui a été cuisinier du prince régent, futur George IV, et se terminant (si l'on peut dire) avec Escoffier qui installe à Londres son quartier général.
Entre-temps, les cuisines du Reform Club sont dirigées par Alexis Soyer, la reine Victoria se fait servir par Francatelli, d'origine anglaise mais formé sous les ordres de Carême ... le dîner du 21 septembre 1841 comptait quarante plats - ce qui signifie, d'ailleurs, qu'il était servi "à la française" -, et tous avec des dénominations françaises, sauf quatre en guise de "side board", c'est-à-dire en extra, concession au goût anglais ...

(...) Une autre remise en cause significative de l'hégémonie française est celle apportée à la fin du XIXe siècle en Italie par Pelegrino Artusi. En fait, comme le montrent Capatti et Montanari, il s'agit plutôt, après l'unification du pays, d'y permettre la circulation des recettes d'une région à l'autre en les dotant d'une langue commune, la terminologie culinaire française ou inspirée de celle-ci, faisant la part belle aux gallicismes ampoulés, n'ayant plus rien à faire ici.
Artusi meurt en 1911 mais après la Première Guerre Mondiale, son entreprise est récupérée par le régime fasciste.
Commenter  J’apprécie          100
Si, comme nous l'avons signalé en préalable, le modèle français domine dans le monde gastronomique pendant plusieurs siècles et jusqu'à peu, il n'est pas inutile de voir comment celui-ci se diffuse et les réticences qu'il peut susciter.

Si, concernant la table, la conscience nationale s'éveille dès la Renaissance, les cuisines tendant à se différencier à partir de ce moment-là, l'exemple italien domine en cuisine comme dans tout l'univers culturel. Cet état de fait change avec la publication du "Cuisinier françois". Le succès éditorial de cet ouvrage à l'étranger est immédiat : sa traduction anglaise date de 1653, soit seulement deux ans après l'édition française (...). Des traductions italiennes et allemandes existent également. Mais comme le remarque l'historien Brian Cowan, le signe le plus évident de cette suprématie française qui s'installe est l'adoption, dans toutes les cuisines, du vocabulaire culinaire français, phénomène que l'on observe aussi plus tard, avec le café (le lieu) et le restaurant.

Mais ce n'est pas simplement la cuisine française qui devient la règle pour l'élite européenne, le modèle institué pour la table par Louis XIV devient un exemple dans toute l'Europe qui adopte le service "à la française" et ses accessoires.

Dès le tout début du XVIIIe siècle, les cuisiniers français sont sollicités pour aller travailler à l'étranger : Vincent La Chapelle, d'ailleurs, fait paraître son "Cuisinier moderne" pour la première fois en Angleterre ("The Modern Cook") parce qu'il est en poste auprès de Lord Chesterfield. Les témoignages sont multiples de cette influence dans les différentes cuisines nationales : menus, traductions de livres de cuisine français ou s'en inspirant, correspondances ...
Commenter  J’apprécie          10
L'autre courant de la contestation de la grande cuisine selon Escoffier (à part le futurisme évoqué par Jules Maincave, Guillaume Apollinaire et d'autres) s'incarne dans le régionalisme.

Dès avant la Première Guerre Mondiale, l'intérêt pour les cultures des provinces se manifeste de différentes façons. Le sentiment régional, né avec la Révolution, peut se développer grâce aux progrès faits dans les communications : il devient désormais possible à chacun de constater de ses propres yeux les différences entre toutes les coutumes. (...)

Au cours du XIXe siècle, plus la réalité nationale devient prégnante, plus l'attachement aux particularismes locaux se renforce et plus l'intérêt manifesté pour eux grandit. Dans le domaine culinaire, le développement du tourisme automobile a une influence très nette, favorisant la prise de conscience de l'existence de traditions gastronomiques locales mais aussi accélérant un processus de "normalisation" pour rendre ces traditions acceptables aux palais citadins.

La grande cuisine s'offre ainsi comme modèle à ces cuisines "indigènes", souvent paysannes, ou, du moins, leur fournit des outils pour répondre à la nouvelle demande. On l'a vu, au cours de son histoire, la cuisine française a perfectionné des pratiques pour, d'une part, produire de la nouveauté, et, d'autre part, rationaliser cette production et la faciliter.
L'un et l'autre jouent leur rôle dans cette "création" des cuisines régionales, permettant tout à la fois d'élargir le répertoire et de le dupliquer.

Les clubs touristiques et les guides, dont le Michelin, lancé en 1900, devient le modèle, jouent un rôle de premier plan dans cette grande entreprise.
Commenter  J’apprécie          10
Les propos tenus par le chef futuriste (Jules Maincave) sont intéressants à plus d'un titre :

"L'art culinaire se traîne lamentablement autour d'une douzaine de recettes et y revient toujours. Les mêmes plats circulent sur les tables, baptisés et rebaptisés cent fois de noms ronflants qui dissimulent mal leur médiocre uniformité. Depuis quatre cents ans, il n'y a pas eu sur terre un mets vraiment nouveau."

"J'attaque TOUT. D'abord, avait encore déclaré Jules Maincave, les deux Bastilles de la cuisine moderne : les mélanges et les arômes. La méthode traditionnelle en exclut quelques-uns et en autorise d'autres. L'huile mariée au vinaigre forme une sauce classique. Mais l'idée de mélanger du rhum et du jus de porc est qualifiée de saugrenue. Quant aux assaisonnements aromatiques, ils sont ridiculement limités. Nous en sommes encore au laurier, au persil, au thym, à la ciboule, à l'échalote. Or, les progrès de la chimie moderne permettent d'utiliser, sans nocivité dans la préparation des mets, tous les parfums connus, rose, violette, muguet, lilas, verveine."
Commenter  J’apprécie          10






    Lecteurs (3) Voir plus



    Quiz Voir plus

    Les nourritures livresques : la cuisine dans la littérature

    Qui est l'auteur de la célèbre scène où le personnage principal est assailli de souvenirs après avoir mangé une madeleine ?

    Emile Zola
    Marcel Proust
    Gustave Flaubert
    Balzac

    10 questions
    466 lecteurs ont répondu
    Thèmes : gastronomie , littérature , cuisineCréer un quiz sur ce livre

    {* *}