L’Éternel Féminin
La montagne portait sa robe d’or bruni,
Or fragile tombant, feuille à feuille, des branches,
Dans le chemin, parmi la foule du dimanche,
Sur les sentiers ombreux et le gazon terni.
Reposés de leur course à travers l’infini,
Et doux, comme l’émoi d’une âme qui s’épanche,
Les rayons du soleil d’octobre, en nappes blanches
Sur le sol déjà froid, versaient un feu béni.
Ce ne fut que le soir, en soufflant ma veilleuse,
Que me vint nettement l’image glorieuse
Dans ses mille détails ternes et rutilants.
J’avais distraitement vu les choses agrestes,
Trop attentif à suivre ou deviner les gestes
D’une fille aux yeux noirs qui ramassait des glands.
Concordances
Le même triste accent vient toujours des rapides,
Toujours les mêmes flots font le même circuit
En recueillant le rêve et l’espoir dans leurs rides.
Je l’ai senti déjà le vent de cette nuit;
Il conserva mes paroles et les répète,
Et de naïfs couplets renaissent avec lui.
Un firmament connu resplendit sur ma tête.
Les étoiles de l’an passé sont de retour;
Le souvenir des temps éclaire la planète.
Mon âme d’autrefois ressuscite à son tour,
Et comme une eau qui part avec d’aimables rides,
Calmée elle reprend son doux rêve d’amour.
Son accent reviendra, triste, dans les rapides.
Le passé
Telle qu’une vapeur s’épaississant toujours,
La nuit grave s’étend sur les îles boisées;
Les plus belles au loin, déjà semblent rasées
Et les rives n’ont plus que de fuyants contours.
A mes pieds, le vent d’est chassant l’onde à rebours,
Courbe les joncs comme autant d’âmes angoissées.
- Veux-tu que nous allions reposer nos pensées
Dans l’ombre qui sera bientôt comme un velours?
Nous causerons de nos projets, de choses vaines,
De l’avenir, jongleur qu’on dirait les mains pleines,
Mais non pas du passé, c’est terrain défendu.
Le passé surgira de la nuit et des houles,
Et parlera si fort, qu’au retour vers les foules,
Nous resterons muets de l’avoir entendu.
Des montagnes très loin...
Des montagnes très loin paraissent toutes proches.
La grève se déroule à l'ombre des sapins,
Et la haute marée ensevelit les roches.
Les astres allumés par l'homme sont éteints.
Le blanc navire tranche avidement l'écume
Qui s'enfonce et renaît en bizarres dessins.
La carène, les ponts, les mâts sont une enclume
Que le piston, fou de chaleur, frappe à grands coups
Comme pour se venger du mal qui le consume.
L'azur du ciel se mire au cristal des remous,
Le vent fait onduler la plaine d'améthyste,
Et l'horizon recule, immense, devant nous.
Je suis seul, toujours seul, c'est trop grand, je suis triste.
La brume
Le Saint-Laurent, mordu par les souffles d’automne,
S’exaspère. Partout sur le fleuve dément
L’âme des bois brûlés flotte languissamment.
Affolé, mon canot plonge dans l’eau gloutonne.
Pas d’oiseaux. Aucun coup de fusil ne résonne.
Le vaste et lourd brouillard, gris uniformément,
De son opacité cache tout mouvement
Et dans une caverne étrange m’emprisonne.
Verdâtres, turbulents, accourus du chaos,
Avec des bruits de haine autour de moi les flots
Se dressent. On dirait la fureur d’une armée.
Seul et domptant la voile où souffle un vent du nord
Je me crois égaré dans quelque monde mort
Sous l’irrémédiable ennui de la fumée.