Tant que la politesse a le dessus, on ne peut rien savoir vraiment des gens. C'est toujours au moment où ça se fendille qu'on sait exactement de quoi le bois est fait.
Le frottement de nos vies les unes contre les autres, c'est à ça que je crois.
Le texte est là, nu. Et la lecture, libre.
La nuit creuse sa route dans le coeur de chacun. Des paupières se ferment. D'autres abritent sous leur si mince membrane des visions que celui ou celle qui dort oubliera quand ses pieds se poseront au matin sur le sol, que le corps reprendra son poids sur terre. Pourtant parfois les visions reviendront, inattendues, au détour de la journée et quelqu'un ralentira son pas, se souviendra, s'interrogera peut-être. Dans le sommeil certains ont ri d'autres ont pleuré, parlé, crié. Quelques-uns ont volé, légers si légers, dans ce même corps du jour comme soulevé et tenu par un souffle. Libres. Le matin appesantit les corps mais quand on se souvient du vol, où qu'on suit, on sourit, on soupire, les ailes repliées, l'obscurité a fait son travail. Elle rend au jour les dormeurs.
Chaque jour un peu différents.
Les étoiles au-dessus de sa tête sont mortes depuis longtemps. Pourtant, la beauté est là. Quand même. Bien sûr il y a un phénomène physique et des calculs précis qui permettent de savoir exactement comment la lumière se propage dans l'espace. Mais la beauté ? Ce que provoque en lui ce scintillement-là dans tout le noir, quel chiffre peut le mesurer ? C'est dans les mots qu'il faudrait chercher un passage.
Dans le silence juste entre les mots justes.
Elle avait passé un temps qu'elle n'aurait pas imaginé, les journaux à la main. C'était drôle toutes ces nouvelles d'il y a si longtemps. Plus rien ne pouvait faire ni mal ni bien à les lire puisque c'était passé et elle s'était dit que dans le fond, il faudrait toujours acheter les journaux en retard, comme ça on se sentirait à l'abri des choses et on regarderait les "nouvelles" tranquillement même quand c'était des catastrophes.
Et alors ! faut-il toujours qu'il y ait en commun le sang pour aimer les gens ? Les aimer au point de les accueillir dans sa vie, de les soigner, de les faire revivre ? Pour les chiens ou les chats, on trouve bien ça normal. Décidément, elle ne comprend pas les gens.
Un mot qu'il aimait. C'était celui qu'il employait pour baptiser le fait de vivre : une tentative. Un mot humble, qui donne le droit de se tromper, d'errer, de recommencer.
Un arbre, la façon dont la ramure dessine contre le ciel un entrelacs très fin, aléatoire. C'est beau parce que c'est. Voilà. C'est tout. Contempler ces branches-là, ces feuilles-là, rien d'autre. Juste ce qui s'offre. Il n'y a aucune intention dans un paysage, il n'y a aucune intention dans la ramure d'un arbre et ça, c'est un repos. S'absorber totalement à regarder. Se rendre.
Egaré. Et puis soudain, dans l'immense trouée du ciel clair, devant lui, un lac. Une merveille. L'eau du lac était d'un bleu très doux, calme, étale comme le manteau d'une reine posé sur terre. Dans sa poitrine aussi alors, un espace paisible, protégé par le bleu du lac, le ciel clair. Un miracle. Cette sensation si douce de plénitude, à ce moment précis, il avait su qu'elle lui appartenait pour toute la vie. Des moments comme celui-là, magiques, ça vous arrache à tout, ça vous pose au centre de la beauté, comme un arbre. Ca permet de rester au monde.