Ce tome fait suite à La veuve (épisodes 61 à 65, et la réédition du numéro 81 de 1971). Il contient les épisodes 66 à 70, parus en 2005, écrits par
Brian Michael Bendis (en abrégé BMB), dessinés et encrés par
Alex Maleev, et mis en couleurs par Dave Stewart.
Un vieil homme descend d'un taxi à un coin de rue. Il s'appelle Alexander Bont. Il fut autrefois un caïd (kingpin) dans le quartier de Hell's Kitchen, régnant sur la pègre, avant le règne de Wilson Fisk. Il se remémore son ascension, à commencer par un rendez-vous clandestin où il essayait de refourguer des diamants à d'anciens Nazis, transaction brutalement interrompue par l'arrivée de The Angel (Thomas Halloway, un superhéros). Quelques années plus tard, bien installé, Alexander Bont a droit à une visite de Daredevil (alors au début de sa carrière, en costume rouge et jaune) qui réussit à le coincer et à le faire arrêter. Au temps présent, Matt Murdock est toujours poursuivi par la presse désireuse d'obtenir une preuve irréfutable de son identité de Daredevil. Lors d'un moment de calme, il est abordé par Angela del Toro, une agente du FBI (apparue pour la première fois dans le roi de Hell's Kitchen) qui a reçu les amulettes des Fils du Tigre (Lin Sun, Abe Brown et Bob Diamond) conférant des capacités physiques augmentées (Hector Ayala s'en servait pour devenir White Tiger, un superhéros). Peu de temps après l'entretien, Matt Murdock est fait prisonnier par Gladiator (Melvin Potter) pour le compte d'Alexander Bont.
Bendis propose de quitter quelques instants le flux régulier de l'histoire pour examiner une question peu traitée : et avant Wilson Fisk, c'était comment ? Voici donc le précédent Kingpin qui revient pour un dernier baroud d'honneur, après avoir purgé sa peine. Maleev s'aligne sur le récit de manière assez classique en utilisant 3 styles graphiques différents, un pour chaque époque. C'est ainsi que les débuts et l'ascension d'Alexander Bont seront dessinés en noir & blanc avec un style plus sec et un peu moins détaillé que celui utilisé d'habitude par Maleev (mais en y regardant bien, toujours avec des références photographiques retouchées pour les décors, mais en plus fruste). Pour le passé proche, il dessine les superhéros dans des postures évoquant aussi bien
Jack Kirby que
Bill Everett, avec une mise en couleurs à base de points grossiers rappelant les limitations techniques de la reprographie des années 1960 (en plus exagéré). Pour le temps présent, le lecteur retrouve le style inimitable de Maleev, mélangeant photographie, utilisation intelligente de l'infographie, visages marqués et aplats de noir judicieux.
À bien y regarder, le thème du passage de garde d'une génération à une autre est décliné sous plusieurs formes dans ce récit. Cela commence avec les réminiscences d'Alexander Bont, mais aussi lors de son échange avec Saul (un ancien compagnon de crimes) où ils constatent, avec le recul de leur âge, l'évolution inéluctable du monde qui les entoure. Lorsque Bont se rend au cabinet de Nelson & Murdock pour se faire représenter, le lecteur peut aussi assister au changement de génération : les anciennes méthodes d'intimidation ne sont plus efficaces sur les nouvelles générations. Aux débuts de la carrière de Daredevil, Spider-Man lui présente White Tiger, l'identité secrète d'Hector Alaya à l'époque (défendu ensuite par Murdock dans le procès du siècle, épisodes 32 à 40). Par la suite, Daredevil explique à la nouvelle White Tiger l'essence du superhéroïsme ; il y a eu là aussi un passage de flamme. Cette scène est l'occasion pour Maleev de briller de mille feux, dans des séquences qui laisse la part belle aux images pour porter la narration (un combat sur un toit absolument magique d'évidence, une intervention lors d'un braquage de superette tout aussi superbe dans les mouvements de del Toro, et dans les décors photographiques sans supplanter les personnages).
En introduisant ce thème du passage de génération, Bendis évite l'écueil de se répéter (même s'il déçoit les lecteurs assidus qui attendent une résolution à la situation de Murdock). Il peut même se permettre d'insérer de nouvelles variations sur ses thèmes favoris sans tomber dans le rabâchage, que ce soit la fraternité existante dans la communauté de superhéros (entre Spider-Man, Daredevil et White Tiger), ou le rôle de la drogue MGH (Mutant Growth Hormone). Il peut même s'autoparodier en organisant une deuxième exposition publique de l'identité secrète de Daredevil, et la transformer en blague référentielle grâce à un démenti immédiat.
Pour être indispensable, il aurait fallu qu'Alexander Bont dispose d'une personnalité plus développée. Au fur et à mesure des séquences, BMB le réduit à un dispositif narratif pour justifier les scènes d'action et de suspense, Murdock et del Toro s'imposant comme les vrais personnages principaux, éclipsant Bont et reléguant Melvin Potter au rang de simple figurant. le tome suivant le Décalogue (épisodes 71 à 75) revient sur la période pendant laquelle Daredevil a régné comme maître incontesté d'Hell's Kitchen. Angela del Toro a eu droit à sa propre minisérie L'instinct du héros, écrite par
Tamora Pierce, une écrivaine, auteur de la série Alanna, à commencer par le secret du chevalier.