Car le peintre peut éprouver toutes les souffrances de la gestation et de la création : du moins chez lui l'oeuvre, achevée, a sa vie propre. Le graveur non seulement travaille en aveugle, à rebours de son dessin, sans pouvoir se rendre un compte exact des profondeurs du trait, des rapports des blancs et des noirs, que par le tâtonnement des états successifs; non seulement il est livré à l'aventure de toute la chimie et l alchimie des acides, mais encore il a besoin, comme un musicien de son orchestre, de la collaboration de personnages et d 'éléments étrangers. Il aura à subir l'imprimeur, et ses presses, et ses encres, et ses papiers, et surtout ses routines professionnelles.
Dès lors son existence se partagea tantôt entre Paris, ce Paris qu'il avait si bien compris et que pourtant, à la fin, son coeur souffrant et désemparé se mettait à délester et croyait n'avoir jamais aimé, et Londres qu'il affectionna toujours beaucoup, Londres où il exécuta les pièces qu'on peut considérer comme ses chefs-d'oeuvre,
Félix Buhot a bien un droit tout particulier à l'hommage que lui rend aujourd'hui le musée du Luxembourg. Car il fut non seulement un artiste d'imagination vive et de savoir consommé, mais encore une intelligence ouverte et généreuse,un esprit critique très avisé qui, conscient de la mission hautement pédagogique des musées, avait tenté de répandre la connaissance méthodique de son art à travers toutes les galeries de France.
Car si l'art a ses pontifes, il a aussi ses martyrs, et, comme l'écrivait déjà son confrère et ami Ph. Zilcken, Buhot fut un vrai martyr de l'estampe.