Arrivent les glaciations quaternaires, qui font elles aussi le ménage. Bien des populations sont décimées, tandis qu’une nouvelle troupe s’introduit, habituée au froid, et dont l’aire de répartition s’étend aujourd’hui souvent jusqu’à l’Arctique. De petits soubresauts de chaleur invitent ensuite quelques éléments africains, que la glaciation suivante détruit.
Dernièrement, des changements de courants marins ont favorisé la colonisation du bassin tantôt par des espèces tropicales-tempérées, tantôt par des espèces boréales. À l’arrivée des humains, on en est là : un partage entre ces deux grands groupes, le boréal et le tropical.
Et puis soudain c’est le percement du canal de Suez et l’arrivée immédiate des cargos, qui transportent dans leurs ballasts des larves venues de partout. La Méditerranée est maintenant visitée par des organismes originaires de régions extrêmement chaudes ou lointaines. Elle est, comme la France pour les humains, la crique où bat le ressac du monde. Tout y débarque.
De tous temps, les conchyliologues ont reçu l’immense majorité de leurs coquilles sans sortir de leurs chers cabinets. Nous avons ici affaire à une population de cloportes, blanchis à l’ombre des études, qui passent leurs vies le nez dans les écrans et les bouquins, à tapoter sur leurs claviers au milieu des odeurs inquiétantes des coquilles mal vidées qui sèchent sous un bureau, des produits chimiques de fixation, des chairs pourrissantes parfumées à la putrescine tapies dans des placards suspects. J’ai en ce moment un paquet de spécimens récoltés aux Samoa il y a un an, stoppés dans un mélange d’alcools, qui s’impatientent dans la cave, rendant celle-ci aussi charmante à renifler qu’une morgue.
Passons maintenant à un dur à cuire. Ses ancêtres peuplaient la région il y a 5,5 millions d’années, et cet escargot la peuple encore, depuis les glaciales Lofoten jusqu’aux Canaries, jusqu’au plus chaud de la Méditerranée. Cet animal est un brouteur, à l’aise aussi bien à marée basse en plein soleil que dans la zone crépusculaire, mangeant un peu de tout ce qui pousse, algues rousses ou vertes. Il voit passer des baigneurs ou des glaçons, des phoques et des pirogues ; sa résistance est vaste.