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Critique de meidosem72


Ce que peut la littérature


"La réalité, lorsqu'elle pulvérise l'idée qu'on s'en faisait, qu'elle nous rappelle son existence, sa royauté, sa puissance, c'est invariablement avec perte et fracas. Pour l'accueillir et, s'il se peut, la projeter, par le moyen du langage articulé, sur du papier, il y a deux préalables, qui sont de l'éprouver en personne et d'être sans prévention ni but précis, sans passé ni projets pour l'avenir, d'avoir moins de vingt ans, donc."

Les pilote, copilote, mécanicien, navigateur, bombardier, opérateur radio et mitrailleurs qui composent l'équipage d'un B-17G, qualifié de "Forteresse volante" durant la Seconde guerre mondiale, sont souvent jeunes. Ils ont 19 ans, mettons. Ils partent, au sein d'une escadrille de quatre appareils qui forment le box, bombarder l'Allemagne nazie. À vingt mille pieds d'altitude, ils sont pris en chasse, probablement par un Focke-Wulf 190 qui vomit ses obus de 20 mm. C'est la règle semble-t-il. Cette trame trouve son origine dans une séquence filmée vue par l'auteur pour la première fois à la télévision familiale en 1965.

"Pour les Anciens, déjà, la guerre était mère de toutes choses." Et la guerre est une chasse. Dans sa brillante et malicieuse postface, Pierre Michon, qui connaît si bien l'auteur, ne manque pas de rappeler ce que ce texte doit à Moby Dick. Bergounioux convoque ou évoque aussi Faulkner, Kant, Mailer, Saint-Exupéry, Proust, Kafka, Cervantes, Joyce, Homère, Hemingway, Shakespeare, Rimbaud, fermez le ban ! C'est qu'ici, il est avant tout question de littérature, de ce que c'est que de porter une expérience vécue à l'écrit, de ce que cela présuppose, exige, implique, de là où cela mène, que l'on soit propriétaire régnant sur ses terres, pilote de guerre, asthmatique reclus dans sa chambre ou vagabond.

Bergounioux connaît son affaire. À partir de ce matériau somme toute assez prosaïque, il met en branle, lui, la grande et mystérieuse machine volante de l'écriture. Il fait se lever des mondes. Il explique, au sens étymologique du terme, il déplie, déploie les possibles  dont l'événement est gros. Son texte est une fenêtre en forme de kaléidoscope qui s'ouvre sur le réel.

Pour cela, en bon démiurge qu'il est, il forge ses armes, qu'on appelle aussi le style. le sien est limpide. Tout y semble d'une évidente facilité, comme toujours chez ceux qui maîtrisent leur outil. de la même manière qu'un menuisier reconnaît vite un ouvrage réalisé par un homme du métier, il est bien rare qu'il faille plus de quelques pages pour que les masques tombent. Chacune des 76 qui forment ce texte est là pour nous rappeler que oui, décidément, la littérature peut beaucoup.

(Je ne note pas les livres car ce ne sont pas de bons ou de mauvais élèves.)
Lien : https://lesheuresbreves.com/
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