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Critique de Woland



Editions : le Livre de Poche - 1er Janvier 1957 - N° 227

ISBN : 978-2253003458

Eh ! bien, je vais vous dire : malgré ses allures parfois un peu brouillonnes (à mon sens personnel mais que l'on doit probablement au fait qu'il s'agit, il me semble, du premier roman de l'auteur), un livre comme ça, on n'est plus capable d'en faire aujourd'hui, alors que, justement, il faudrait en faire. Non pour attirer vers la religion catholique, que Bernanos défend pourtant avec fougue mais pour persuader les gens, peu importe leur religion pourvu qu'ils aient l'esprit ouvert, que le Mal est comme une maladie nosocomiale et qu'il n'est jamais aussi à l'aise que lorsqu'on se croit à l'abri, abusé par l'hôpital aseptisé où nous passons, par l'impalpabilité du phénomène, par cet air simple et humble surtout que sait se donner le Mal (vous rappelez-vous la simplicité merveilleuse du Diable incarné en Garrigou dans "Les Trois Messes Basses" d' Alphonse Daudet qui, justement par sa simplicité, conduit droit le malheureux Dom Balaguère et ses fidèles à leur perte ? Avec un péché capital, peut-être, mais très simple : celui de la gourmandise ... ) et, dans notre Histoire, la simplicité tranquille d'un Hitler ou d'un Staline. "Le Mal est simple," nous met en garde Bernanos. "Notre plus grand tort, à nous, humains, c'est de l'imaginer dressant d'invraisemblables plans de campagne pour s'insinuer dans notre âme et guider notre comportement : une stratégie simple et nette, Satan ne souhaite pas autre chose même s'il est parfois contraint à la complexité."

Ce que Bernanos ne dit pas comme je l'écris ici - bien qu'il souligne que Satan est le Maître de la Matière et donc, de ce monde - c'est qu'il a introduit ce virus en nous, virus qui ne manque jamais de s'éveiller un jour, un peu, beaucoup et, pour certains malheureux, avec une passion dévorante qu'ils ne pourront plus étouffer. Oui, il est prêt à s'éveiller en chacun de nous et peu importe, répétons-le, notre couleur de peau et notre religion, voire notre athéisme ou la franc-maçonnerie bête et méchante (pardon, Cavanna ! ) de certains. le Mal nous aveugle comme nul autre et Dieu, Lui, qui n'est pas le Seigneur de la Matière, ne peut que regarder et nous prêter la main, parfois et même souvent en trichant un peu mais qu'importe ? C'est pour la bonne cause.

"Sous le Soleil de Satan" se divise à peu près en trois partie : l'Histoire de Mouchette (le personnage de Germaine Malhorty n'ayant rien à voir avec la tendre et fragile Mouchette de "La Nouvelle Histoire de Mouchette", publiée plus tard), l'Entrée en Scène de l'Abbé Donissan, personnage d'une puissance extraordinaire et enfin, le Décès de l'abbé Donissan, surnommé "le saint de Lumbres" bien que, selon le Vatican, un seul miracle puisse lui être imputé en toute justice. Il y a des hauts et des bas dans tout ça, on pourrait reprocher à l'auteur un manque de fluidité mais il ne faut pas oublier que Bernanos se situe, en tant qu'auteur, au carrefour de plusieurs courants littéraires, entre le Naturalisme finissant et le Symbolisme d'une part, et la légèreté libertine de la Belle Epoque ainsi que le désir de casser les moules et d'en créer d'autres du Modernisme qui s'avance d'autre part. de là vient sans doute l'étrangeté d'un style qui oscille entre naturel et excès, qui ose non seulement des scènes (comme la rencontre, digne d'une image d'Epinal, de Satan en maquignon normand et de Donissan, en pleine nuit) que, justement, un autre n'aurait pu ni su oser, mais aussi la mise noir sur blanc d'une théorie spirituelle que l'auteur, malgré tout son talent, ne réussit pas à fixer comme il le devrait. Peut-être par peur de tomber dans le ridicule ? Peut-être parce que le tourbillon de ses idées lui fait peur ? Pour une tout autre raison ? Je ne saurais trancher et ce n'est pas mon rôle.

Lectrice, je lis. Et "Sous le Soleil de Satan", je l'ai lu, à haute voix, partagée entre la surprise, la déception, l'enthousiasme, l'incompréhension, le doute et, bien sûr, comme une fille d'après Vatican II - ce qui signifie que le Dieu dont parle Bernanos et auquel croit Donissan est plus proche de la Bible que le mien. Maintenant, est-ce un grand livre ? Oui. Mal fait peut-être mais oui, c'est un grand livre. Ça semble aller à due et à dia - le Diable, sans doute, qui espère bien nous voir abandonner avant la fin ce qu'il aimerait nous voir considérer comme un fatras sans conséquence - mais une fois à la fin de l'ouvrage, même si l'impression brouillonne demeure, on sait qu'on a eu le privilège de lire l'un de ces "grands" livres qui intriguent, sèment parfois le doute mais pour mieux nous forcer à réfléchir par nous-même.

Le relirai-je ? Peut-être. Je vais d'abord goûter au "Journal d'un Curé de Campagne", nous verrons ensuite. Il y a aussi "Les Grands Cimetières Sous la Lune", qu'il ne faut pas oublier. Bref, nous avons du pain sur la planche ! ...

Mais revenons à ce Soleil de Ténèbres où nous voyons tout d'abord la jeune Germaine - dite Mouchette - Malhorty se déclarer enceinte des oeuvres du châtelain du coin, puis se rendre nuitamment chez ce dernier après que la chose ait été découverte par le père Malhorty, ... et assassiner le père de son enfant. Non pas froidement ou même parce qu'elle craindrait une brutalité de sa part mais avec une haine que ni l'attitude du hobereau, ni l'intelligence de Mouchette ne sauraient expliquer. Oh ! Nous ne sommes pas dans un film d'épouvante d'aujourd'hui mais, pour un peu, les phrases cependant normales de Bernarnos, où la sobriété discrète alterne avec une forme de grandiose, nous convaincraient de la possession de Mouchette en cet instant. Elle tue pour tuer plus que par vengeance, pour le plaisir de tuer et peut-être aussi par orgueil, pour être la plus forte, la dominante ...

Avec la seconde partie, nous entrons dans le monde du doyen de Campagne - tel est le nom du village où se situe l'essentiel de l'action - l'abbé Menoux-Segrais, qui s'interroge énormément sur un jeune prêtre qu'on lui a confié : l'abbé Donissan. Comme il l'avoue à un visiteur, prêtre d'un certain âge comme lui et responsable d'une paroisse voisine, Donissan, grand, carré, avec ses grands pieds patatuds, sa soutane toujours plus élimée, son humilité qui confine à la mortification volontaire (de fait, Donissan s'applique bien cilice et fouet pour dompter sa chair robuste) a "quelque chose." Quelque chose qui pourrait faire de lui un saint bien que, Menoux-Segrais l'affirme et le sait, ce ne soit pas là le but conscient qu'il recherche dans sa vie terrestre. L'ambition, Donissan ne sait pas même ce que c'est. Mais attention ! Ce genre de personnes, Satan éprouve un grand plaisir à les torturer et à les mener dans l'impasse. Quelle voie choisira Donissan ? Se laissera-t-il pousser sur la mauvaise par un Lucifer qui veut son âme ou se contentera-t-il, en souffrant mille morts, de continuer sur l'autre chemin, vers le Bien ?

Se placent dans cette partie trois scènes - dont l'une est très longue - qu'il faut un réel génie d'écrivain et une foi tout aussi réelle pour réussir à la fois sans sombrer dans le ridicule et, en même temps, éveiller une inquiétude plus ou moins vague chez celui qui lit. Tout d'abord, la rencontre, sur une route déserte et nocturne, de Donissan avec Satan-Lucifer-Le Mal, appelez-le comme ça vous chante, qui a pris tout d'abord la forme d'un maquignon mais qui, Donissan s'en rendra compte, peut aussi bien prendre la sienne propre. Les cornes, les sabots et la queue piquante, c'est bien joli, tout ça mais un peu encombrant . Dans un sabbat, passe encore mais pas face à un abbé Donissan.

A ce long et très symbolique passage, succède une rencontre avec Mouchette, qui cherche à tenter charnellement Donissan et puis qui, rentrée chez elle, se suicide. Appelant le prêtre à son chevet, elle demande à celui-ci de la déposer devant l'église du village pour qu'elle y expire. Et Donissan accomplit son voeu, provoquant le scandale que l'on devine.

Et puis, bien sûr, il y a l'enfant mort qu'un instant, un instant seulement, Donissan croit avoir ressuscité par la volonté de Dieu alors que ce ne fut qu'une illusion maligne.

Il faut être sacrément fort pour traiter ce genre de choses sans faire rire le lecteur, surtout de nos jours. Vous me direz que l'époque n'était pas la même mais si, aujourd'hui, on peut avoir envie de rire, n'est-ce pas, dans le fond, parce qu'on préfère ne pas réfléchir et pour éloigner la peur qui s'installe dans nos coeurs ?

Sur la troisième partie, je ne m'étendrai guère, n'ayant pas saisi le pourquoi de l'apparition (hum, toute terrestre, en voiture, je vous rassure ) de Saint Morin, un écrivain parisien qui pourrait (?) faire penser à Anatole France, venu, par curiosité, visiter "le saint de Lumbres." Un saint que, tout le monde a beau chercher, on ne trouve nulle part. Finalement, on ouvre la porte du confessionnal : son cadavre s'y trouve, frappé probablement par un AVC ou quelque chose du même type.

Gagnée à Dieu ou au Diable, cette âme à qui ne manquèrent pas les tourments et qui vient de s'évader de sa prison terrestre ? Bernanos nous laisse juge. Personnellement, je penche pour la première solution. le malheureux Donissan a bien gagné l'indulgence divine.

Maintenant, pourquoi lire ce genre de livres ? Je ne sais pas . Par curiosité, pour comprendre le respect inspiré encore par le nom de Bernanos (enfin, essayer en tous cas), pour attendre peut-être que la Vérité qu'il renferme nous apparaisse pleinement.

Et puis, parce qu'il fallait oser et que Bernanos l'a fait - et très bien fait. Et que l'audace, c'est le grand saut dans le Vide et c'est aussi une manifestation de la Quête qui est la nôtre à toutes et à tous. Peut-être aussi parce que l'époque se prête à ce genre de lectures qui n'est pas, je le souligne, du prêchi-prêcha et met fortement l'accent sur le Doute comme composante de la Foi.

A lire, certes. Mais à lire à son heure. La vôtre n'est peut-être pas encore venue mais ne vous découragez pas : la mienne a tardé cinquante-six ans. ;o)
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